Accueillir un réfugié chez soi : joie et partages garantis !
Alors que l’Europe peine à s’accorder sur une politique commune au sujet de l’accueil des réfugiés, des citoyens à travers la France font le choix de l’entraide et de l’ouverture à l’autre.
À quelques kilomètres de chez Alain et Camille, à Vintimille, un « Calais italien » s’est constitué depuis le rétablissement par la France des contrôles à la frontière italienne en juin 2015. En effet, une partie des personnes débarquées par bateau en Italie – plus de 130000 sur les neuf premiers mois de 2016 selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés – continuent leur chemin en direction de la France, de l’Angleterre et du nord de l’Europe. Arrêtés par la police aux frontières dans les trains ou sur la route, majeurs comme mineurs sont systématiquement renvoyés en Italie. Depuis mai 2016, les autorités italiennes tentent de désengorger Vintimille – où près de 1000 personnes sont bloquées en permanence – en les renvoyant vers les centres d’accueil et de tri du sud de l’Italie, les fameux « hot spots ». Mais les migrants reviennent rapidement, certains en étant déjà à leur troisième ou quatrième voyage. Ils tentent alors de traverser la frontière en faisant appel aux passeurs ou en traversant la vallée de la Roya. Depuis leur première expérience d’accueil, Alain et Camille hébergent régulièrement des gens. Une hospitalité synonyme pour eux d’ouverture sur le monde :
« Nous avons du plaisir à faire ce que l’on fait, nous rions beaucoup, apprenons l’arabe. Et plus besoin d’allumer la télévision pour savoir ce qu’il se passe au Soudan », sourit Camille.
Autour d’eux, ils ont même fait des émules : « Certains de nos amis ont décidé d’ouvrir leur porte à leur tour. Aujourd’hui, un réseau informel s’est mis en place dans la Roya. » Un engagement humaniste qui se fait souvent en parallèle d’une réflexion plus globale sur les crises écologiques, humaines, économiques et financières actuelles : « Je pense que tout est lié et que la situation risque malheureusement de s’aggraver. Nous devons mettre en place dès aujourd’hui des attitudes et des rapports humains différents », souligne Alain.
À travers la France, des réseaux solidaires
Un pari de solidarité qu’ont fait d’autres citoyens à travers la France. À Rennes, Élisabeth et Bernard Philippe font partie du réseau national d’hospitalité temporaire pour les demandeurs d’asile Bienvenue!. Depuis trois ans, au sein de l’habitat groupé dans lequel le couple réside, un studio est mis à disposition un mois par trimestre, en échange d’une contribution de 5 euros par nuit payée par le couple à la copropriété. Bernard explique comment le système a évolué au fil du temps : « Au départ, Bienvenue! n’avait pas défini de période maximum d’accueil et il est arrivé que des personnes restent jusqu’à un an chez les hébergeurs, ne laissant pas la place pour d’autres. C’est pourquoi le réseau a limité l’accueil à deux à quatre semaines, renouvelables deux fois en changeant d’hôte. » Un médiateur aide à trouver un autre logement en vue de la sortie, tandis qu’un accompagnateur favorise l’intégration dans la vie locale. Chez Élisabeth et Bernard Philippe, les demandeurs d’asile sont accueillis à leur arrivée par l’ensemble des résidents de l’habitat partagé et sont invités ponctuellement à partager des repas et des activités : « On se croise, on discute, souvent ils nous aident dans l’entretien du jardin. Cet accueil a transformé notre regard sur les migrants », se réjouit Élisabeth.
À Nice, face à des autorités frileuses vis-à-vis des étrangers, les associations travaillent main dans la main : « Nous nous réunissons régulièrement et faisons marcher le réseau pour trouver des solutions d’hébergement dans les villes où les personnes souhaitent déposer leur demande d’asile », témoigne Hubert Jourdan, coordinateur de l’association Habitat et citoyenneté. Car le logement des demandeurs d’asile, en principe pris en charge par l’État, est souvent insuffisant dans les grandes villes. Bénévole depuis onze ans au Secours catholique, Gérard Vincent est souvent confronté à des migrants en grande détresse : « Les démarches pour obtenir l’asile sont longues, et les conditions de vie pendant cette période peuvent être très dures. Au-delà du soutien juridique et matériel, nous offrons un regard, une écoute, de l’amour. »
Également engagé de longue date, Hubert Jourdan reçoit dans les locaux d’Habitat et citoyenneté des demandeurs d’asile déboutés, en réexamen ou en procédure Dublin1. Dans l’intervalle, ils ne bénéficient d’aucun droit. Dans sa maison, à 30 kilomètres de Nice, le coordinateur accueille jusqu’à vingt personnes par jour, les migrants restant deux à trois jours en moyenne : « Ce sont des gens très simples, qui prennent ce qu’on leur donne. Ils ont souvent des parcours singuliers, et c’est passionnant de voir comment ils s’en sortent. Ils ont une énergie incroyable », témoigne-t-il.
Demain, davantage de migrants ?
Au-delà de la question humaine, les craintes d’un envahissement annoncé semblent excessives face à la réalité des chiffres. En 2015, le nombre de demandeurs d’asile en Europe – 1 255 600 selon Eurostat – ne représentait en effet que 0,23 % de la population des 28 États membres, la France pouvant sans doute mieux faire : sur les 80 075 demandes reçues à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), 14 119 ont reçu un avis favorable. D’autant que, pour Gérard Vincent, la posture européenne, qui consiste à renforcer les contrôles aux frontières, ne peut pas perdurer : « Les gens vont continuer à venir, ils n’ont pas le choix et il faut les accueillir, car leurs problèmes sont souvent liés aux politiques que nous menons dans leurs pays, comme celle de vendre des armes à l’Arabie saoudite pour ensuite pleurer sur le sort des Syriens. Les distinctions entre migrants économiques et réfugiés sont également arbitraires : les causes politiques, climatiques et économiques sont aujourd’hui liées… » Est-ce ce constat qui a incité Emmanuelle Cosse à lancer l’appel à projets Hébergement citoyen en août 2016 ? La ministre du Logement et de l’Habitat durable souhaitait développer « l’expérimentation de dispositifs d’hébergement de réfugiés chez les particuliers », avec à la clef pour les associations retenues : jusqu’à 1 500 euros par personne hébergée et par an.
Retour chez les Créton, où c’est l’heure du dîner. Autour de la table, six migrants, dont Aboubacar, un jeune Guinéen :
« C’est la première fois que des personnes se soucient réellement de moi depuis que j’ai quitté mon pays, il y a quatre mois. Je me sens en famille ici », témoigne-t-il.
À ses côtés, Adam, un jeune Tchadien logé par le couple depuis neuf jours. Il partira le lendemain au petit matin en train pour déposer sa demande d’asile à Calais. Alain et Camille, qui ont senti chez lui une affinité avec leur mode de vie, espèrent qu’il reviendra : « Sur 200 hectares, nous exploitons seulement un hectare et demi de châtaignes. Pendant la saison de récolte, nous sommes disposés à accueillir un migrant pour qu’il travaille avec nous et gagne suffisamment d’argent pour acheter ensuite s’il le souhaite sa propre parcelle. » Pour l’instant, l’appel de la route est plus fort pour Adam et les autres, mais Alain est persuadé que certains reviendront s’installer un jour avec eux dans leur petit coin de paradis.
1Selon la procédure Dublin, les migrants dont les empreintes ont été relevées à leur arrivée dans un pays doivent patienter jusqu’à 18 mois avant de pouvoir déposer une nouvelle demande d’asile dans un autre pays.
À savoir avant d’héberger un migrant
- Selon l’article L622-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la loi autorise toute personne à héberger un étranger en situation irrégulière. Il est absolument interdit de chercher à obtenir une contrepartie « directe ou indirecte » de la part d’un migrant que l’on accueillerait chez soi.
- Si la personne a déjà effectué une demande d’asile, elle est en droit de rester en France jusqu’à ce qu’elle obtienne une réponse. Elle dispose alors d’une allocation journalière d’un peu plus de 11 euros.
- Passez de préférence par une association ou un collectif organisé.
Par Pauline Bandelier
Article publié initialement dans Kaizen 29.
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