Économie & Gouvernance

Bâtir sans exclure



Depuis vingt-cinq ans, Solidarités Nouvelles pour le Logement propose « d’agir ensemble pour le logement ». Grâce à la mobilisation de citoyens bénévoles, l’association crée des habitats aux loyers accessibles pour des personnes sans logement ou mal logées et les accompagne dans leur intégration.

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Leurs maisons s’avérant trop petites pour offrir l’hospitalité à tous les plus démunis qui croisaient leurs chemins, Etienne et Denis Primard décident de bâtir. Les deux généreux frères, entrepreneurs dans le bâtiment (l’un en Essonne et l’autre à Paris), leurs épouses ainsi que quelques amis achètent ainsi des appartements qu’ils retapent pour garantir un toit à ceux qui n’en ont pas, moyennant un loyer modéré. « Nous n’imaginions pas alors, se souvient Etienne Primard, que nous allions dépasser ce cadre familial et amical. Finalement, nous avons mobilisé des centaines de bénévoles autour de la recherche de solutions concrètes pour se loger. Par cette action, on a montré que ce qui n’est pas possible seul peut le devenir à plusieurs ».

Déjà cofondateurs en 1985, autour de Jean-Baptiste Foucault, de Solidarités Nouvelles face au Chômage, ils créent en 1988 une autre association : Solidarités Nouvelles pour le Logement (SNL), convaincus que « l’habitat est premier pour la dignité humaine ». En 1990, la loi Besson qui permet aux associations de recevoir des subventions de l’État si elles s’engagent à embaucher des travailleurs sociaux favorise un « décollage immédiat » de SNL, qui emploie alors des travailleurs sociaux professionnels. Vingt-cinq ans plus tard, l’association reçoit le « Prix de l’entreprise de plus de 50 salariés », décerné en novembre 2012 lors de la troisième édition des Grands Prix de la finance solidaire. Elle est aujourd’hui présente dans cinq départements d’Île-de-France (Paris, l’Essonne, les Hauts-de-Seine, le Val-de-Marne et les Yvelines). Depuis sa création, SNL a permis à plus de 6 000 ménages de se loger dignement. Plus de 800 logements ont été créés. « Autant de réalisations concrétisées grâce à des donateurs et surtout, précise Pierre Anquetil, directeur de SNL Val-de-Marne, à la mobilisation de près de 1 100 bénévoles répartis dans des Groupes locaux de solidarité. L’engagement bénévole est l’un des fondements de SNL. »

Une démarche citoyenne de solidarité

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Le slogan de l’association est explicite : « Ensemble, agissons pour le logement. » Comme le raconte Sophie Fourestier, conférencière et co-fondatrice de SNL Val-de-Marne, « ma rencontre avec les fondateurs de SNL m’a donné une force d’espérance pour tout ce que l’on vit : à condition d’être plusieurs, on ne subit plus les choses. Même face à un problème aussi difficile que le mal-logement. Tout devient possible si les gens se mobilisent. » Cette démarche citoyenne de solidarité implique de donner de son temps, pour créer du logement social mais aussi pour accompagner les personnes en grande précarité afin de leur permettre d’y habiter.

Trois jours avant la trêve hivernale, un tandem de bénévoles – Mireille Convard, bibliothécaire, et Jean-Paul Wald, informaticien – ont rendez-vous dans un logement de SNL situé dans un quartier bourgeois de Fontenay-sous-Bois. Ils viennent dire au revoir à Cynthia et ses deux adorables filles. La jeune mère de 24 ans a vécu dans ce T1 de 40 m2 pendant deux ans et demi. « Franchement, c’est cool. Ça m’a donné le temps de me poser. J’ai pu suivre une formation et ensuite trouver un travail qui me plaît : je suis aide médico-psychologique auprès d’enfants handicapés. L’épouse de Jean-Paul qui connaît bien le milieu social m’avait briefée pour l’entretien. Je peux maintenant emménager dans un logement social, un grand 3 pièces. Mais je reste à Fontenay, on va se revoir ; ils ne vont pas se débarrasser de moi comme ça ! » Jean-Paul est très confiant pour son avenir : « Elle sait ce qu’elle veut. »

Tisser des liens de proximité

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Un autre locataire succède à Cynthia le soir même. Emile arrive avec quelques bagages et un poste de télévision. Mireille et Jean-Paul lui indiquent où se trouvent le Lavomatic le plus proche et un supermarché pas cher, ils lui demandent aussi s’il a besoin de meubles. « L’accompagnement d’Emile va certainement être très différent de celui de Cynthia », présage Jean-Paul. L’homme, presque 40 ans, a un travail mais est couvert de dettes. Divorcé, père de deux enfants dont il a perdu la garde, il a connu la prison et est suivi psychologiquement. La travailleuse sociale de SNL Val-de-Marne, Isolde Houziaux, est présente pour faire signer le contrat de sous-location à toutes les parties.

Tandis que le binôme de bénévoles s’occupe de tisser des liens de proximité avec le nouveau locataire, Isolde Houziaux va prendre en charge la partie plus administrative de sa fonction d’Accompagnement social lié au logement (ASLL) : « Lors de nos entretiens, qui ont lieu le plus souvent au domicile des locataires, je leur demande quels sont leurs projets : s’ils veulent suivre une formation, trouver un emploi ou reprendre contact avec un enfant. Mon métier consiste à les aider à se poser les bonnes questions. Très peu parviennent à se projeter dans l’avenir : comme ils ont vécu dans la misère, ils ont pris l’habitude d’obéir. L’objet de l’association, c’est de vivre ensemble. » Et quid de la coopération entre bénévoles et salariés de SNL ? « Je travaille en lien avec les bénévoles. Ils me permettent d’enrichir le regard que je porte sur le locataire. Ils sont davantage dans la vie quotidienne, tels des voisins qui viendraient prendre des nouvelles. Une familiarité se crée parfois entre eux. Les barrières tombent plus facilement : il y a des choses que le locataire confie au bénévole et pas au travailleur social qui a une étiquette de « professionnel ». En somme, on se complète. »

Interpeller sur la question du mal-logement

À son arrivée, chaque postulant bénévole passe un entretien avec SNL Val-de-Marne et rencontre les membres du Groupe local de solidarité dont il fera partie. Puis il suit une formation pendant deux jours. Tout au long de son engagement, le bénévole peut s’appuyer sur le travailleur social référent et le Groupe local de solidarité, qui se réunit une fois par mois. « Nous sommes huit bénévoles dans notre groupe, raconte Sophie Fourestier, avec chacun une façon particulière d’accompagner. Au début, j’avais envie de tout faire, mais rapidement mon intervention s’est limitée aux frontières de l’appartement. J’attends que la personne me donne son mode d’emploi, puis je suis son rythme. Échanger entre bénévoles nous aide à ne pas prendre certaines situations trop à cœur. Et quand je me décourage, je me rappelle ce que cette relation m’apporte : la rencontre avec une personne dont la manière de vivre et d’être est complètement différente de la mienne. » Autre écueil à éviter : ne pas être trop intrusif ou se comporter en propriétaire. Pas évident pour certains bénévoles qui possèdent le double des clefs du locataire afin de le dépanner en cas de perte…

Au-delà de la création de logement et de l’accompagnement dans l’habitat, SNL interpelle la société et les pouvoirs publics sur les questions du mal-logement et de la mixité sociale, en proposant notamment des conférences-débats ou en éditant des communiqués. Selon Serge-Henry Fourestier, cadre dans une banque et également cofondateur de SNL Val-de-Marne, la force de l’association est de « déconstruire les fantasmes que véhicule le logement social (drogue, violence, bruit, etc.) par l’exemple sur le terrain et par un travail dans la durée. Grâce à SNL, les citoyens ont un moyen d’action pour dénoncer le fait qu’on laisse dans la merde une partie de la population. Le logement, c’est l’affaire de tous. »


Les différentes formules de SNL pour créer du logement social :

– la construction : certains bénévoles qui s’y connaissent en travaux mettent la main à la pâte ; à défaut ils font appel à des entreprises du bâtiment ;

– l’achat-rénovation ;

– le legs ;

– le bail à réhabilitation (15 ans minimum), qui permet de mobiliser des subventions publiques pour louer le bien (exonéré d’ISF) après une remise à neuf visant la performance énergétique ;

– la mise à disposition de particuliers (3 ans renouvelables) dans le cadre d’un contrat prenant en charge tous les frais de gestion du propriétaire ;

– la location, moyennant un abandon total du loyer converti en don avec une déductibilité fiscale de 75 % de l’impôt sur le revenu ;

– la location solidaire connue sous le nom de « Louez solidaire » à Paris et de « Solibail » dans les autres départements d’Île-de-France ;

– l’Établissement public foncier, qui permet de mobiliser des biens immobiliers ;

– le bail emphytéotique (de 18 à 99 ans), qui concerne les biens appartenant aux pouvoirs publics.

L’association est actionnaire d’une coopérative, « Prologues », elle-même propriétaire des logements tandis que SNL en est gestionnaire. La coopérative loue aux cinq associations départementales qui sous-louent aux locataires.

Contact : www.snl-valdemarne.org / 01 45 11 29 33 / contact@snl-valdemarne.org


 

Par Aude Raux

Extrait de la rubrique Ensemble on va plus loin de Kaizen 6.

 


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Le 28 janvier 2015
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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