Énergie

Est-il plus écolo de vivre à la campagne
ou en ville ? (Partie 2)



Notre précédent désenfumage s’intitulait « Est-il plus écolo de vivre en ville ou à la campagne ? » Nous y exposions que le simple fait de vivre à la campagne ne rend pas forcément plus « écolo » qu’être citadin. Pour autant nous tenions à apporter un point de vue complémentaire à cette question afin de ne pas nous contenter du discours dominant prônant la densification des villes et l’arrêt de l’étalement urbain. Questionnons-nous maintenant sur la fragilité des villes, sur notre besoin de nature et sur la nécessaire redynamisation des campagnes.

dessin julie graux

L’autonomie au secours de la densification

Les infrastructures urbaines (canalisations, électricité, rues…) sont certes très efficaces car très concentrées, contrairement aux zones rurales, mais c’est également cela qui les rend extrêmement vulnérables. En octobre 2012, l’ouragan Sandy a coûté très cher à New York : 19 milliards de dollars de dégâts, 2 millions de personnes sans électricité (certaines pendant des semaines), 11 millions privées de transports en commun… Sans tomber dans la politique de la terreur, mais plutôt en invoquant le « simple bon sens », on sait que la « crue du siècle » est attendue avec angoisse à Paris. Le cas échéant, malgré toutes les précautions prises, la capitale, centre névralgique de la France, serait hors-service durant plusieurs semaines. Dans un autre domaine, la seule station d’épuration d’Achère dans les Yvelines retraite chaque jour 1,7 million de m3 d’eaux usées provenant de 6 millions de Franciliens : un tel degré de concentration rend ce système intrinsèquement fragile.

L’autonomie est une clef indispensable pour ne plus dépendre d’un colosse aux pieds d’argile et se préparer à d’éventuelles désordres climatiques qui pourraient s’accentuer (mieux vaut prévenir en douceur que guérir dans l’urgence). On peut vivre de façon la plus autonome possible sans avoir à dépendre d’un cordon ombilical : production de chauffage et d’électricité, épuration de l’eau, filtrage de l’eau potable et bien sûr production alimentaire. Gagner en autonomie, c’est incarner plus fortement le lieu où l’on vit, se rapprocher de la nature et des personnes avoisinantes. Cette évolution peut se faire à toutes les échelles : familiale, dans la rue ou le hameau, à l’échelle du quartier comme de la ville.

Bien-être et nature

Outre notre besoin de proximité avec la nature pour diminuer notre stress, nous sommes appelés à nous relier plus profondément à elle. C’est ce qu’avance Edward Osborne Wilson, biologiste américain : « [L’humain] éprouve une attirance pour la nature qui est l’expression d’un besoin inné d’établir une relation avec le monde vivant. » Pierre Rabhi nous rappelle également que c’est une façon de « renouer avec l’espace, le temps, le silence, les sens, l’humilité et le beau. C’est renoncer à l’esprit dominateur qui régit nos sociétés occidentales, c’est revenir à une relation sensible à une époque où les connexions virtuelles réduisent les autres capacités d’expression (regards, gestes…). » Alors place à la nature, partout et pour tous.

Accéder à la « vraie nature » est beaucoup plus simple lorsqu’on habite à la campagne (les parcs et jardins citadins demeurent un peu des morceaux de nature en boîte). Mais au fait, y aurait-il une taille de ville idéale pour trouver la nature au bout de la rue ? Comme le disait Alphonse Allais (adage originellement attribué à Commerson), « il faudrait construire les villes à la campagne, l’air y est plus sain ».

D’après une enquête réalisée par l’institut de sondage Ipsos en 2010, ce que l’on n’aime pas dans les villes, ce sont les embouteillages, les difficultés de stationnement, la pollution, le bruit et le stress. Des soucis qui augmentent en général avec la taille de la ville. Cette enquête révèle que pour les Français, la ville idéale compte moins de 20 000 habitants (comme Cognac, Lannion, Dignes, Saint-Lô, Millau…). L’accès à la nature y est aisé. Tous les habitants bénéficient de sa présence sous leur fenêtre, au bout de la rue ou sur le chemin du travail.

Dessiner nos paysages c’est dessiner l’avenir

78 chevreuse PNR PG (13) - où vivre ?

Le GIEC a inscrit dans ses recommandations la « densification des espaces urbains » et la « mise en friche des zones naturelles ». Et si nous changions notre façon de voir et proposions de densifier les espaces ruraux et mettre en friche certains espaces urbains ? Notre paysage est façonné par nos paysans ; après un demi-siècle d’exode rural, où sont les dessinateurs de paysages ? Deux fermes disparaissent toutes les heures en France depuis dix ans, des petites fermes à taille humaine. Quand les paysans disparaissent au profit d’importants exploitants agricoles, les paysages se modifient en conséquence, ils s’appauvrissent et la terre devient stérile (la Beauce en est l’exemple le plus frappant).

À quoi ressemblent nos campagnes aujourd’hui ? Ce sont des zones périurbaines aux lotissements aseptisés, dans lesquels il est parfois interdit de cultiver un potager ou d’étendre son linge pour des raisons esthétiques, des « zones d’activités » où l’on trouve jusqu’à des crématoriums, des « zones artisanales » qui n’en finissent pas d’étaler leurs magasins de façon désordonnée. Et autour, des champs plats, sans haies, sans vie. Pour densifier les villes, on désertifie la campagne en l’abandonnant aux plus gourmands.

Pourquoi ne pas s’orienter vers une politique d’exode urbain positif ? Favoriser l’implantation dans les campagnes, d’abord dans l’existant (par la rénovation écologique et énergétique), puis par la création de nouvelles aires rurales qui tendraient vers davantage d’autonomie alimentaire et énergétique ? La mise en place conjointe d’un revenu de base inconditionnel permettrait à des millions de gens de faire leur « country back », de se consacrer à leurs enfants, leur potager, leurs voisins, la nature environnante… Chaque vague d’exode urbain permettrait aux grosses villes de récupérer du foncier et donc de gagner de l’espace pour réintroduire des jardins nourriciers, des espaces de nature sauvage, des centres de production d’énergie ou de retraitement des eaux et des déchets. Une grosse ville pourrait devenir plusieurs petites villes entourées de nature.

Selon Sylvie Le Calvez, qui dirige depuis 20 ans le magazine Village où l’on fait la part belle aux initiatives innovantes en milieu rural, il est temps de passer à une transition écologique de nos territoires ruraux en se demandant d’abord comment valoriser ce que nous avons sous le nez : l’espace, l’eau, le soleil, le vent, les humains… « Il existe quelques exemples montrant qu’il est possible de mettre un territoire en valeur, comme au Mené en Côtes-d’Armor où sept communes rassemblées sont bientôt autosuffisantes en énergies renouvelables locales, ou sur le territoire de Ségala-Limargue dans le Lot où une coopérative de 650 adhérents et plus d’une centaine de salariés s’investit dans le circuit court, la filière bois, le photovoltaïque, l’éolien… Valoriser les atouts de son territoire pour mettre en place une économie circulaire, voilà la première chose à faire. » Ensuite, pour asseoir cette transition, Sylvie Le Calvez suggère de trouver des lieux rassemblant les gens, de les animer et de savoir accueillir, s’ouvrir aux autres : « C’est ce qui se passe sur le plateau de Millevaches dans le Limousin, où l’économie locale et le lien social sont très forts. » Un des endroits les moins denses en France, qui a vu naître la première télévision associative du pays il y a près de 30 ans et dont l’objectif est de contribuer à la revitalisation de son territoire…

Alors pour conserver une véritable diversité de paysage, une nature forte et omniprésente et donner aux gens la possibilité de se relier au vivant tout en gagnant en autonomie, il est indispensable de repenser notre équilibre ville-campagne. Il y eut un temps où « de leurs épées ils forgeront des socs et de leurs lances des serpes », aujourd’hui est venu celui où « de leurs urbanistes ils feront des paysans et de leurs consommateurs des jardiniers ».

 

Par Yvan Saint-Jours

Dessin : Julie Graux

Extrait de la rubrique Désenfumage de Kaizen 12.

Lire aussi : Est-il plus écolo de vivre en ville ou à la campagne ? (Partie 1)

Le 17 septembre 2014
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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jpierre le 05/09/2017 à 00:54

bravo pour ce deuxieme article,le premier m'a fait un peu peur .Je retrouve vraiment des arguments auquels j'adhere .

sophie le 13/10/2016 à 20:24

Ceux qui survivront aux changements sont ceux qui auront créé des oasis communautaires d'autonomie énergétique alimentaire avec une vision spirituelle...ils aideront les autres...car le système actuel basé sur l'exploitation ne tiendra plus très longtemps...

gérard le 01/04/2015 à 19:49

Nécessaire contre-poids à l'article précédent. Merci.
Le densité n'est pas la solution mais le problème, si l'on ne pense pas simultanément l'autonomie des territoires, et un niveau de seuil à ne pas dépasser.
Une évidence?
Sauf qu'aujourd'hui en France, en Europe et ... dans le monde, le modèle imposé par les politiques publiques est la métropole: Plus d'un million d'habitants, une densité supérieure à 200 logements par hectare, ...
Plus de 50% de la population mondiale est urbaine, 80% en 2050.
Pourquoi?
Parce que l'enfant de la métropole est un urbain-consommateur, pas un acteur de la vie publique.
Haut lieu de la consommation, la métropole (la ville mère, en Grec) n'a plus que faire de la démocratie. Elle dévore ses enfants.