Mélanie Laurent et Cyril Dion regardent demain



Et si montrer des solutions était la meilleure façon de résoudre les crises écologiques, économiques et sociales que traversent nos pays ? C’est le pari que font Cyril Dion et Mélanie Laurent avec leur film Demain, qui sort en salles le 2 décembre.

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Comment vous est venue l’idée de réaliser ce film ?

Cyril : J’avais envie de le faire depuis très longtemps, depuis que j’ai participé au film Solutions locales pour un désordre global de Coline Serreau [2010]. J’ai remarqué qu’on passait un temps fou à élaborer des constats catastrophistes et à envisager le pire au lieu d’imaginer ce que pourrait être la société de demain. Très souvent, on agit parce qu’on a commencé par rêver les choses. Si on ne cherche pas à dépeindre aux gens un monde plus agréable, où l’on vivrait mieux, où l’on trouverait du plaisir à faire notre travail tous les jours, où l’on donnerait du sens à nos actes, mais si au contraire on passe notre temps à prédire la mort des animaux et le réchauffement climatique, on ne peut générer aucun enthousiasme. On suscite du rejet, du déni, du ras-le-bol pour systématiquement culpabiliser les gens. Alors j’ai eu l’idée d’un film qui serait comme le plan de la maison de nos rêves pour demain, qui donnerait envie d’y habiter.

Mélanie : Il se trouve que j’avais besoin de « changer de maison » à cette époque-là. J’avais rencontré Cyril lors de la campagne Tous candidats du mouvement Colibris, je lui avais demandé de me montrer un endroit où l’on verrait concrètement ce que signifie le changement, et il m’a emmenée à la ferme permacole du Bec-Hellouin. Quelques jours après, il m’a montré ce qu’il appelle « le plan de la maison de ses rêves », et j’ai voulu participer à l’aventure.

Mais, toutes les maisons ne sont pas écoconstruites… D’où vous vient cette sensibilité aux questions écologiques ?

Mélanie : J’ai toujours été sensible à l’environnement, depuis toute petite. Certainement grâce à mon éducation. Et puis l’école a joué un rôle important. J’étais au collège Decroly, à Saint-Mandé, dont l’organisation est très proche de celle de l’école que nous avons filmée en Finlande… Adulte, j’ai commencé à creuser le sujet lorsqu’on m’a proposé d’être l’égérie d’une marque de shampooings. J’ai contacté Greenpeace pour avoir leur avis sur le produit. Ils m’ont dit que c’était le pire, qu’il était le résultat d’une immense déforestation. Je n’ai pas fait la pub et, à la place, je me suis documentée sur tous ces sujets. Lorsque Cyril m’a parlé de l’étude catastrophique que nous évoquons au début du film, il se trouve que j’étais enceinte. J’ai eu besoin de faire quelque chose de concret. Rattacher mon métier de réalisatrice à un tel projet prenait tout à coup plus de sens qu’un enchaînement de petites actions isolées.

Le film serait donc le meilleur moyen de véhiculer cette vision de l’avenir que vous voulez transmettre ?

Mélanie : Le film est un excellent support, surtout au cinéma. Il permet aux gens de se retrouver dans une salle, de partager des émotions et un savoir, de discuter de ce qu’ils ont vu et ressenti…

Cyril : L’idée était aussi de raconter une histoire. Nous avons été très inspirés par un livre de Nancy Huston, L’Espèce fabulatrice [Actes Sud, 2008]. L’auteur y avance que les êtres humains fonctionnent à partir de récits, de fictions qui leur permettent d’appréhender et de traduire la réalité. Alors nous avons voulu élaborer une nouvelle histoire de l’avenir, qui propose un imaginaire différent de celui que nous voyons généralement. Peut-être est-ce l’un des moyens les plus efficaces pour donner envie de construire une autre société.

Pour autant, vous ne proposez pas un modèle unique, une seule façon de résoudre tous nos problèmes…

Cyril : Au contraire ! Pour tous les acteurs que nous avons filmés, nous avons besoin de passer d’une société standardisée, industrialisée, pyramidale, à un monde plus inspiré de la nature où la diversité et l’interdépendance constituent le fondement de nos organisations.

Est-ce que le cinéma se prête à montrer cette complexité ?

Mélanie : Un film permet de parler de plusieurs personnes et de les montrer au sein d’un même sujet. Le cinéma va porter une histoire de l’économie, de l’écologie, de l’éducation, de l’agriculture, autant de thèmes variés qui se trouvent rassemblés sur un même support. Les personnages deviennent vecteurs de l’idée que tout est possible. Le grand fantasme selon lequel il serait bien trop difficile d’agir est mis à mal par la diversité des exemples concrets que nous filmons : voici un village anglais où deux femmes ont initié un mouvement mondial de potagers partagés [les Incroyables comestibles] après une simple discussion dans un café…

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Des gens en chair et en os nous montrent que le changement est possible. Le film permet cela, plus encore que le livre pour ce type de sujet. Les gens qui lisent ce qui peut s’écrire dans ce domaine sont déjà informés, déjà sensibilisés. Ceux qui iront voir le film le feront peut-être par hasard, sur un malentendu, parce que la salle d’à côté était déjà pleine. On sait qu’on touchera plus de monde.

Cyril : Et puis, un film peut tout autant nous émouvoir que nous faire réfléchir, nous toucher par la beauté de ses images ou de sa musique ; il fait appel à une palette de sensations et d’émotions infiniment riche.

Vous parlez de susciter le débat. Avez-vous prévu des rencontres après les projections ?

Mélanie : On a déjà commencé les rencontres avant l’été, et elles vont se poursuivre. On constate en effet que le débat ne demande qu’à naître, les gens ont des choses à dire ! Quand quelqu’un fait part de son découragement, aussitôt un autre spectateur vient prendre la parole à son tour et montrer comment sa propre expérience prouve qu’il faut rester fort. Des gens qui ne se connaissent pas et qui n’ont rien en commun parviennent à se remotiver. Il se passe quelque chose d’humain grâce au cinéma, qu’un essai ou un documentaire de télévision ne pourraient pas engendrer.

Lors de la campagne de financement participatif que vous avez effectuée, vous avez dit : « Ce film va changer nos vies. » Cela a-t-il été le cas ?

Mélanie : Oui, et sur de nombreux plans. Il a changé ma manière de me nourrir, il a décuplé mon énervement face aux incohérences du monde, j’ai mis mon énergie dans quelque chose de positif au lieu de la perdre dans des propos vains avec des gens trop têtus ; il m’a appris à m’ouvrir davantage, m’a offert un savoir qui me permettra d’expliquer les choses à mon enfant quand il va grandir. Après le tournage, j’ai pris des vacances pour la première fois depuis dix-sept ans. J’éprouvais un manque de nature, ce qui ne m’était encore jamais arrivé. Nous vivons complètement coupés de la nature, c’est absurde. Dans mon quartier, il n’y a même pas un parc pour y emmener mon fils.

Cyril : Le film a changé ma vie, mais pour des raisons différentes. J’ai une formation plutôt artistique à l’origine. J’ai toujours écrit et j’ai été comédien quelques années avant de m’engager dans les fondations et les ONG. Ce projet de film a relié mes deux aspirations : créer et être utile. Il m’a donné l’impression de faire un à nouveau. De me recentrer.

Mélanie, en février 2015, vous avez accompagné le président François Hollande à Manille pour plaider contre le réchauffement climatique ; Cyril, vous êtes plutôt réticent à l’égard du politique, en prônant un engagement citoyen. Comment abordez-vous cette sphère aujourd’hui ?

Mélanie : C’est Nicolas Hulot qui m’a proposé de les accompagner. Nous avons écrit un discours ensemble avec Cyril. J’y suis aussi allée en observatrice. Et j’ai appris beaucoup de choses, notamment que certains gouvernements ont envie de trouver des solutions, mais que, pour autant, ils n’ont pas forcément la latitude de le faire. Il faut les pousser !

Cyril : L’un des intervenants du film, David Van Reybrouck, nous a dit quelque chose de particulièrement intéressant à ce sujet : « Être contre les gouvernants n’est pas suffisant, ils ont besoin d’aide. » Pour lui, sans le soutien massif de la population, il est presque illusoire de croire que les politiques pourront aller contre les intérêts économiques et financiers. Je crois que c’est devenu l’un des messages du film : s’il ne reste plus que vingt ans pour renverser la vapeur, alors il faut que tout le monde s’y mette, politiques, entreprises et nous tous !

Mais, n’est-ce pas une minorité qui s’intéresse à ces questions ? Comment parvenir à mobiliser à la fois les politiques et les citoyens ?

Mélanie : La chose la plus porteuse d’espoir dans le film est qu’on y voit des gens ayant cessé d’attendre passivement que quelque chose se passe. Ils ne sont pas particulièrement contre les politiques, mais ils ont choisi de faire, d’agir. Il faut sortir de l’inertie. On n’est pas obligés de s’attaquer directement à de grandes causes, de porter un combat : on peut aussi agir à petite échelle. Je ne pensais pas que c’était possible – et la majorité des gens ne l’envisagent pas non plus –, mais c’est pourtant le cas. Et c’est une grande source d’espoir pour le monde. Le pouvoir du citoyen est finalement immense, parce qu’il peut boycotter des produits et affaiblir des lobbies, voire les anéantir.

Cyril : L’énergie du film s’est concentrée dans le positif. On avait envisagé au départ d’aller se confronter à des politiques, mais on a abandonné l’idée, c’était une démarche assez vaine. Rob Hopkins dit qu’il y a deux façons de réagir par rapport aux politiques : soit manifester pour désapprouver ou porter une réclamation, soit leur montrer que la révolution se fait déjà, sans eux, que des actions concrètes et porteuses d’espoir naissent partout à travers le monde. Ils peuvent les soutenir s’ils le souhaitent, mais elles se feront, quoi qu’il arrive.

 rob hopkins demain le film

« Sois le changement que tu veux voir dans le monde », nous dit Gandhi. Vous abordez assez peu cette nécessaire révolution intérieure dans votre film. Pourquoi ?

Cyril : Selon moi, c’est un courant transversal, les deux vont ensemble. La plupart des personnes que nous avons rencontrées ont connu des bouleversements intérieurs. Si elles font ce qu’elles font aujourd’hui, c’est souvent suite à une évolution intime, une réflexion qui les a menées à reconsidérer leur place dans la société, leur participation à sa dégradation, et à vouloir s’en extraire par l’action. J’ai le sentiment que ça se sent chez elles, il ne nous semblait pas nécessaire de le souligner. Le but n’était pas de faire la morale aux gens et de leur répéter qu’ils doivent évoluer, mais bien de leur montrer qu’il est possible de faire autrement. Le message apparaît en filigrane, notamment lorsqu’on aborde la partie éducation : si l’on veut avancer, il faut commencer par une évolution individuelle des consciences, et en filmant une école, on voit qu’effectivement l’éducation a son rôle à jouer. Le principal de cette école n’a pas pour objectif la réussite à tout prix de ses élèves, mais qu’ils apprennent à s’aimer les uns les autres et qu’ils se sentent bien.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqués en tournant ce film ?

Mélanie : Beaucoup de choses m’ont touchée, mais je dirais tout de même que la première fois qu’on a projeté le film à Paris, devant 200 spectateurs, c’était très fort… La dernière personne à avoir pris la parole ce jour-là était une jeune fille qui s’est levée en larmes et nous a remerciés de lui offrir une possibilité de s’épanouir dans ce monde…

Cyril : Pour moi, ça a été notre arrivée à Détroit, une ville complètement détruite, sinistrée, confrontée à cet effondrement que nous redoutons tant… Là-bas, c’est arrivé. Nous avons vu des gens se rassembler, s’entraider, se montrer solidaires. Dans tous les endroits que nous avons traversés, même – surtout – quand la situation était la plus critique, nous avons assisté à un élan de solidarité similaire.

Nous avons vu des Intouchables en Inde cohabiter et s’entraider pour reconstruire leurs maisons, prendre des décisions ensemble pour transformer leur village. Leur motivation n’était pas la soif de pouvoir, mais de retrouver du sens, d’agir ensemble contre l’absurdité d’un système.

En matière de transition, comment se situe la France par rapport à tout ce que vous avez vu ?

Cyril : Il y a des tas de gens formidables dans notre pays, des énergies incroyables, une grande créativité, des entrepreneurs géniaux, on a sûrement l’une des meilleures fermes en permaculture du monde [le Bec-Hellouin]… Et, parallèlement, nous avons une agriculture hyperindustrialisée qui détruit les écosystèmes et fait disparaître les paysans… Il y a parfois en France une sclérose de la pensée qui me surprend beaucoup. Cela s’explique peut-être par le fait que notre pays est historiquement extrêmement centralisé : on attend toujours que les choses arrivent – de l’extérieur ou de l’État – tout en étant capables de provoquer des révolutions – une en tout cas ! Il nous manque parfois ce que nous avons pu voir dans les pays scandinaves ou anglo-saxons, où les gens n’attendent pas que les choses arrivent, mais les impulsent eux-mêmes. Quand on dit aux Danois qu’ils sont à la pointe en matière d’écologie, ils ne comprennent pas, ils trouvent ça parfaitement normal de faire ce qu’ils font.

Mélanie : On a peut-être aussi en France l’impression illusoire qu’on bénéficie encore de beaucoup de confort. La ville de Détroit s’est clairement effondrée, ce n’est pas encore le cas de Paris. Tous les quartiers de Paris sont peuplés de SDF, il y a partout des gens qui n’ont rien, qui dorment dans le métro, mais on peut encore y vivre normalement et aller faire ses courses à la supérette comme si de rien n’était. Le problème est que, bien souvent, les gens attendent d’être confrontés à une situation de détresse pour faire bouger les choses. C’est parfois quand ils ne peuvent même plus aller dans un supermarché qu’ils décident de créer un potager collaboratif. Il y a beaucoup de gens qui vivent très mal en France, mais on continue à se considérer comme un pays riche qui va bien, ce qui est faux.

Cyril : On est le pays où les Incroyables comestibles fonctionnent le mieux, et celui où il y a le plus de supermarchés… Les Français sont pétris de paradoxes !

Vous avez fait appel au financement participatif pour réaliser Demain. Qu’est-ce que cela a apporté à l’aventure de ce film ?

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Mélanie : Ça a tout changé ! Quand l’envie de faire un film citoyen a germé, elle n’a d’abord existé que dans nos têtes ; grâce à notre campagne de financement participatif, en 48 heures, le projet était devenu réalisable. Cela représentait beaucoup de nous lancer dans le voyage en nous disant que ce serait un film citoyen. On avait bien intégré cette idée, qui peut mettre une certaine pression, mais qui donne aussi beaucoup plus de liberté par rapport au financement. On s’est retrouvés dans une espèce de confort, avec en plus l’impression d’être soutenus, c’était énorme !

Cyril : Maintenant que le film sort, on n’a pas envie de décevoir tous ces gens. Mais les retours sont déjà très positifs. Nous avons en quelque sorte honoré une promesse faite à tous ceux que nous avons rencontrés, celle de porter leur parole, de réaliser à la fois notre propre film et le leur. Il est important pour nous qu’ils s’y retrouvent.

 

Entretien réalisé par Pascal Greboval, paru dans Kaizen 23 (novembre-décembre 2015).

 


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Le 29 octobre 2015
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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RECLUS le 16/10/2016 à 17:06

Un très bon film - documentaire qui m'a redonné confiance en l'être humain, c'est très agréable de voir autant de positif dans votre film ! Merci

céline le 06/02/2016 à 17:09

Est-il prévu de sortir un CD des musiques qui accompagnent le film ?
Merci

céline le 06/02/2016 à 17:03

Merci pour ce très beau film/documentaire.
C'est juste dommage qu'il ne soit pas plus diffusé dans les salles.
Bravo !
Céline

Guérin le 29/10/2015 à 19:36

J'aurais très bien pu être cette jeune femme en pleure !
MERCI pour ce beau projet ...
Nos places pour l'avant première rennaise sont déja réservée, nous vous attendons avec impatience !!!