Culture & Solidarités

JR : mobiliser grâce à l'art



JR est un photographe français, célèbre pour ses immenses portraits affichés dans les rues. En dix ans, il est passé du graffiti aux grands projets comme 28 mm (série de portraits des habitants de la cité des Bosquets) ou Face2Face (portraits d’Israéliens et de Palestiniens affichés sur le mur de séparation à Jérusalem), puis au film Women are Heroes. Aujourd’hui gratifié d’une reconnaissance internationale, il est néanmoins plus que jamais à la recherche de sens dans ses projets et du moyen de transmettre sa démarche de création, de liberté et d’engagement au plus grand nombre.

Alors que le film sur son projet Inside Out vient de sortir dans les cinéma MK2, nous publions cette interview de mars 2012.

Cyril Dion : Pourquoi fais-tu ce que tu fais ?

JR : Pour être honnête, je n’ai pas de réponse claire. Ma démarche est née d’une grande curiosité, d’une envie de partager, d’interagir avec les gens. C’est pour cette raison que mon travail est en constante recherche et en perpétuelle évolution.

D’où vient cette idée de coller des photos immenses dans tous ces endroits ?

Le principe n’est pas de faire du gigantesque pour le gigantesque mais de s’adapter à l’architecture d’un endroit. Ce qui m’intéresse c’est de traduire notre lien à la ville dans un rapport direct avec la matière.

Aujourd’hui, tu es vu comme un artiste assez engagé. Avais-tu dès le départ cette intention de participer à l’évolution de la société par ton travail ?

Non. Tout est parti de ma période graffiti où j’écrivais mon nom partout. C’était l’envie d’exister, l’égocentrisme… Et puis les choses ont évolué au contact des gens. Le tournant s’est fait au moment des émeutes à Montfermeil en 2005. On avait utilisé un de mes collages, montrant mes amis de la cité des Bosquets pour illustrer les émeutes. On les faisait passer pour des gangsters. J’y suis alors retourné et j’ai fait une série de portraits au 28 mm (grand angle) où ils se caricaturaient eux-mêmes et je les ai affichés en grand dans les quartiers bourgeois de Paris. Un an plus tard, l’exposition était reprise par la mairie de Paris. Comme si on les avait réhabilités.

Les autres projets sont partis de la même intention. Je voyais quelque chose se passer, comme le conflit au Proche-Orient. J’y allais, j’échangeais avec les gens et ça donnait naissance à une réalisation. On pourrait dire que la boucle a été bouclée lorsque nous avons monté Inside Out : un projet collaboratif où chacun peut délivrer un message à travers son portrait. Tout passe par une plateforme où chacun peut télécharger sa photo puis recevoir un poster qu’il peut aller coller dans la rue, le but est de transformer un message en œuvre artistique. En partant de moi, je me suis mis à parler des autres puis à donner aux gens un outil pour parler d’eux mêmes.

Quels effets as-tu pu constater suite à la mise en œuvre de tous ces projets ?

Curieusement, on pourrait dire qu’ils révèlent des fissures de notre société. En 2004, on a fait 28 mm à Clichy-Montfermeil, et un an plus tard, la cité a brûlé pendant les émeutes. En 2008, nous nous sommes installés dans cette favela pour Women are Heroes et un an et demi après elle a été pacifiée. Évidemment ce n’est pas à cause des projets, mais ils participent à révéler quelque chose à un moment précis. En Russie, les gens se sont servis des portraits d’Inside Out dans leurs manifestations contre l’homophobie, et pour clamer leur droit à la démocratie. Quelques mois plus tard, ils sont passés de quelques milliers à des centaines de milliers. Le projet leur a donné un outil supplémentaire pour exprimer une frustration, la rendre visible et toucher d’autres gens. Ces projets naissent dans certains pays, en révélant des envies fortes dans la population et c’est comme s’ils tiraient une première sonnette d’alarme.

JR

Qu’est-ce que cela signifie pour les gens d’utiliser leur portrait dans Inside Out ?

Cela soulève la question de l’image, de la représentation de soi. C’est facile de signer une pétition sous un pseudo sur le web, c’est autre chose d’aller mettre sa tête, c’est à dire sa vraie signature dans la rue. L’effet est plus fort. Et puis cela crée une sorte de tamis entre les gens qui se disent soi-disant révolutionnaire et ceux qui vont réellement montrer leurs visages publiquement. Aujourd’hui, il est intéressant de constater qu’il y a des gens d’Abu Dhabi, de Palestine, de Paris ou des États-Unis qui le font ou veulent le faire.

Es-tu prêt à mettre cet outil au service de n’importe quelle cause ?

Non. Cela doit forcément être une idée qui ne vend rien. Comme  « Tous Candidats ». La beauté du projet c’est que l’idée soit plus forte que tout. Elle passe simplement par les gens, sans que l’on puisse la récupérer.

Est-ce qu’un artiste doit/peut changer le monde ?

Pas forcément. Mais c’est de sa responsabilité de s’interroger et de ramener des questions dans le débat public. Dans ma petite expérience de dix ans, j’ai vu de vrais changements après des projets, mais ce n’était absolument pas un objectif que je m’étais donné en les concevant. La base de mes projets touche au rapport à soi, au rapport des gens à leur dignité. Changer cela, c’est déjà changer le monde, qualitativement. Si en plus il se produit des évolutions physiques, sociales, économiques dans un endroit grâce à un projet, alors c’est du bonus !

Qu’est-ce qui t’a le plus touché dans les reportages que tu as faits ?

Ce qui me touche c’est que ce n’est pas uniquement mon énergie qui rend les projets possibles au Brésil, au Kenya ou ailleurs, mais un réel besoin des gens. Et ce n’est pas facile à expliquer, parce que d’autres gens disent : « Vous ne croyez pas que, quand vous allez là-bas, les populations ont d’autres aspirations, ont besoin de ci, ont besoin de ça… » Ces expériences sont des preuves par l’image que ce projet a du sens pour eux. Inside Out montre que c’est une question de motivation, de désir de partager des idées et de voir que lorsqu’on donne les mêmes moyens à tout le monde, tout le monde n’est pas prêt à faire les mêmes choses.


Pour aller plus loin


Extrait de Kaizen 1.

 

Le 17 novembre 2013
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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