La politique de l’essuie-glace
Que peut-il y avoir de plus triste qu’une soirée électorale sur un plateau de télévision ? Regarder les élus de gauche expliquer que c’est à cause des élus de droite si le Front National est devenu si fort. Ecouter les élus de droite répondre, qu’au contraire, c’est à cause des élus de gauche. Assister au triomphe d’un parti qui, en tête dans 17 villes, souligne que c’est parce que les élus de gauche et de droite sont si mauvais, que les électeurs se sont reportés sur eux. Tous parlent de changement. Encore et encore. L’abstention est autour de 40%.
Mais d’idées, point. Des véritables problèmes : le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité, l’enjeu alimentaire, le chômage galopant, l’emprise infernale de la finance… pas un mot. Chacun se drape dans un message que les français lui auraient envoyé et qu’il aurait compris. Promet de renverser la table. D’organiser l’union. De qui se moque-t-on ?
Aujourd’hui, les éditorialistes vont théoriser sur la montée du Front National. A nouveau mettre en évidence que le désamour des français pour les grands partis est consommé. C’est le cas depuis des années. Selon l’enquête Ipsos[1] « France 2013 » « le système démocratique fonctionne plutôt mal en France » pour 72 % des français, « les hommes et les femmes politiques agissent principalement pour leurs intérêts personnels » pour 82 % et « la plupart » d’entre eux « sont corrompus » pour 62 %. L’enquête 2014[2] confirme ces chiffres et montre même une aggravation du phénomène. Selon les nouveaux résultats : “Pour 65% (+3) des Français, la plupart des hommes et des femmes politiques sont corrompus. 84% (+2) pensent les hommes politiques agissent principalement pour leurs intérêts personnels.” La progression la plus spectaculaire concerne l’idée selon laquelle “le système démocratique fonctionne mal, mes idées ne sont pas bien représentées » (+6 points à 78%). 72% des Français n’ont pas confiance dans l’Assemblée nationale, 73% dans le Sénat. Pour 88% des personnes interrogées, les hommes et les femmes politiques ne s’occupent pas de ce que pensent les gens.”
Pourtant, pendant ces mêmes années, à chaque nouvelle élection, la politique de l’essuie-glace a battu son plein. La gauche au pouvoir ne tient pas ses promesses : votons pour la droite. La droite conduit la même politique et rien ne change ? Qu’à cela ne tienne, votons pour la gauche. D’élections présidentielles à législatives, des municipales aux européennes en passant par les régionales, l’alternance politique est une joute où la focalisation toute entière se fait sur le combat entre deux adversaires au visage immuable. Et détourne l’attention des véritables enjeux. Mais les éclats de voix ne suffisent plus à masquer le fait que 70%, au moins, de leur politique est la même. Aucun des grands changements annoncés ne s’est produit, sous aucune mandature, depuis au moins 30 ans. Et pourtant, chacun doit se représenter devant les électeurs, promettant à nouveau l’impossible, lorsque l’échéance électorale se profile.
Hier soir Najat Vallaud-Belkacem demandait à Marine Le Pen ce qui changeait radicalement dans son programme. En quoi consistait la rupture qu’elle entendait mener. Celle-ci n’a pas véritablement su répondre. Car vouloir séduire le plus grand nombre l’oblige déjà à tempérer ses déclarations, à entrer dans le compromis. Les thèses xénophobes (pourtant toujours très vivaces chez une base historique du parti) sont glissées sous le tapis pour ne pas effrayer le chaland. Gageons que les velléités de sortir de l’euro et de l’Europe connaitront le même sort si Madame Le Pen parvenait aux responsabilités. Car les grandes envolées lyriques (comme celles de François Hollande, promettant de « partir en guerre contre la finance », de « la mettre au pas ») ne résistent pas au pouvoir. Et, bientôt, le jeu de l’économie mondiale, de l’équilibre des forces, entraine chaque dirigeant politique vers le même horizon : un conformisme aveugle et sourd.
Dans ce jeu de dupe, où le réel pouvoir de changement est détenu par les acteurs économiques et financiers, nous portons une responsabilité qui n’est pas à négliger. En continuant à jouer le jeu de l’alternance droite-gauche, en préférant notre confort à une profonde remise en question de nos modes de vie, de nos habitudes consuméristes, en continuant à donner tout pouvoir (en achetant leurs produits) à ces monstres transnationaux que sont devenues les méga-entreprises et les banques, nous participons à entretenir ce système qui nous tue. Nous menons la politique de l’essuie-glace. Mais aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de nettoyer le pare-brise. Il faut descendre de la voiture.
Par Cyril Dion