Économie & Gouvernance

Peut-on inverser la courbe du chômage ?



Après le choc pétrolier de 1973 et depuis les années 1980, l’emploi est la préoccupation numéro une des Français, les effectifs du chômage passant de 1 million en 1976 à 2 millions en 1982. Les gouvernements successifs disent en faire leur priorité absolue, et pourtant, malgré leurs promesses et leurs efforts, il semble impossible « d’inverser la courbe du chômage ». Pourquoi ?

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De quand date le chômage ?

La notion de chômage telle que nous la concevons aujourd’hui est apparue au XIXsiècle en même temps que la révolution industrielle. Elle est directement liée à l’idée de salariat où un travailleur vend sa force de travail à un employeur. Auparavant, une grande partie de la population travaillait à sa propre subsistance, mais sans alimenter les statistiques de l’Insee.

En France, le chômage a connu des flux et reflux au cours du XXe siècle avec des pics au moment de la Première Guerre mondiale et de la crise boursière de 1929. À partir du choc pétrolier de 1973, il s’est installé plus durablement en France, touchant de 3 à 10 % de la population active selon les années, avec une pointe à 12 % en 1994.

Toutes catégories confondues (A, B, C, D, E [1]), la France compte aujourd’hui 5 662 800 demandeurs d’emploi [2].

Pourquoi le chômage a-t-il augmenté ?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le nombre d’emplois en France n’a pas diminué depuis les Trente Glorieuses : il était de 22,2 millions en 1973 et de 26,3 millions en 2012 (en stagnation depuis 2007).

La perte considérable d’emplois liée à l’automatisation – moins 5 millions d’agriculteurs et moins 1,5 millions d’ouvriers depuis la fin des années 1970 [3] – a été plus que compensée par l’expansion des secteurs tertiaires, et notamment par le développement des services qui représentent 12,4 millions d’emplois en 2011, contre 7 millions en 1973.

Mais dans le même temps, entre 1973 et 2014, la population en âge de travailler (c’est-à-dire les 15-64 ans) est passée de 39 à 43 millions. L’augmentation importante du nombre de femmes qui travaillent est pour beaucoup dans cet accroissement. Leur taux d’activité est passé de 57 % en 1980 à 67 % en 2012, soient 3,9 millions d’actives supplémentaires sur le marché du travail. Par ailleurs, les délocalisations se sont multipliées, notamment entre 1995 et 2001, période durant laquelle 13 500 emplois de l’industrie française ont été délocalisés chaque année, selon l’Insee.

En somme, la destruction d’emplois dans un certain nombre de secteurs continue à un rythme soutenu. Parallèlement, la population active augmente plus vite que la création d’emplois. Le taux d’activité est de 71 % en France, de 77 % en Allemagne et de 72 % en moyenne en Europe. Pourquoi ? À cause du ralentissement de la croissance depuis 1973, nous expliquent les économistes. Et cette croissance-là – devenue totalement dépendante de la consommation des ménages – n’est pas près de remonter…

Un autre point de vue : le chômage organisé

Ce que l’on a appelé la courbe de Phillips (du nom de l’économiste qui l’a mise en évidence) montre une très forte corrélation entre inflation et chômage. Un taux de chômage très bas fait augmenter l’inflation, tandis qu’un chômage important la fait diminuer. En période de plein emploi, les salariés – étant potentiellement très mobiles et plus revendicatifs – ont tendance à négocier des augmentations de salaires, augmentations répercutées sur les prix par les entreprises. Le phénomène s’inversant en période de chômage fort.

Or, l’une des missions principales de la Banque centrale européenne (BCE), inscrite dans les textes européens, est la suivante : lutter contre l’inflation.

Maintenir une inflation basse est officiellement une façon de protéger les plus démunis d’importantes hausses de prix. Argument largement contestable pour les salariés dont la rémunération est indexée à l’inflation et qui ne devraient donc pas la subir trop durement. Contrairement au capital qui, lui, perdrait de sa valeur.

Quelle véritable raison à la lutte contre l’inflation ?

En réalité, la lutte contre l’inflation est née d’une forte offensive néolibérale destinée à limiter la capacité des États à monétiser l’investissement public en créant directement la monnaie nécessaire. Cette création monétaire est aujourd’hui l’apanage de la BCE (indépendante des États) et des banques privées. Et génère donc de nombreux intérêts.

Pourtant, comme l’explique l’économiste Liêm Hoang-Ngoc dans Le Fabuleux destin de la courbe de Phillips [4] : « Keynes [5] réussit le tour de force de produire une théorie économique du chômage, bientôt jugée convaincante, concluant que le système économique n’était pas “auto-ajusteur”. Dans la Théorie générale, Keynes montre en effet que les jeux de la finance, l’horizon incertain dans lequel se déploient les décisions d’investir des entreprises, les comportements d’épargne des ménages et la répartition des revenus ne concourent pas spontanément au plein-emploi des ressources et, en aval, à la réalisation du bien commun. L’État se trouve par là même fondé à intervenir, essentiellement en vue de porter remède à l’insuffisance chronique de l’investissement. C’est cet agenda qui fut en partie mis en œuvre avec succès durant les Trente glorieuses. Mais, dès le début des années 70, à la faveur de la stagflation, l’expérience keynésienne des Trente glorieuses subissait le feu de la contre-révolution néolibérale. »

Malheureusement, cette intervention de l’État est aujourd’hui fortement limitée, comme nous l’avons vu plus haut.

Que faire ?

Rendre le pouvoir de création monétaire aux États et aux collectivités serait un premier pas permettant les investissements nécessaires dans de nombreux secteurs créateurs d’emplois tels que la transition énergétique, l’agriculture écologique ou l’économie locale.

La répartition du temps de travail directement productif serait une autre piste. Jamais nous n’avons créé autant de richesses et pourtant, la redistribution de cette valeur reste profondément inégalitaire. En trente ans, la part des dividendes versée aux actionnaires est passée de 15 % à près de 30 % [6]. Une hausse régulière malgré les crises financières des années 2000. Nous voyons cohabiter des chômeurs toujours plus nombreux avec des travailleurs à la limite du burn-out. Réinvestir les bénéfices de l’entreprise dans l’entreprise, plutôt que rémunérer le capital, est certainement un moyen direct de créer des emplois en nombre. Aller vers des options comme le revenu de base est un bon moyen de soutenir cette dynamique.

Miser sur les petites entreprises – en créer, acheter chez elles plutôt que chez les mastodontes – est encore une autre solution. Toujours selon l’Insee : « Les petits établissements (moins de 10 salariés) ont été les plus dynamiques avec 62 % d’emplois supplémentaires entre 1976 et 2006. Ce taux diminue régulièrement avec la taille et devient franchement négatif (– 36 %) au-dessus de 500 salariés [7]. »

Permettre à chaque Français de disposer d’une activité épanouissante et subvenant à ses besoins n’est pas impossible, loin de là, mais cet objectif nous demande de repenser largement nos institutions et notre logique économique. Passer d’une économie prédatrice et égoïste à une économie du partage et de l’intelligence.

Par Cyril Dion

Dessin : Julie Graux

Extrait de la rubrique Désenfumage de Kaizen 15.

 

[1] Les demandeurs d’emploi sont répartis en cinq catégories, selon qu’ils sont sans emploi, en exercice d’une activité réduite longue ou courte, en emploi, en formation, en maladie etc. Cela permet d’adapter les offres d’emploi qui leur sont proposées.

[2] Fin avril 2014.

[3] Source : Insee

[4] Liêm Hoang-Ngoc, Le Fabuleux destin de la courbe de Phillips, Presses Universitaires du Septentrion, coll. « L’Économie retrouvée », 2007, 161 p.

[5] John Maynard Keynes (1883-1946) : économiste britannique fondateur de la macroéconomie keynésienne.

[6] Trente ans de vie économique et sociale, Insee Références, 2014

[7] L’Emploi, nouveaux enjeux, Insee, 2008

Le 3 octobre 2014
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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gachet-mauroz philippe le 03/01/2015 à 16:59

Je partage le réponse de t Curty. L'article reste dans la notions du TRAVAILsocle de notre société judéo-chrétiennes. Dés ma naissance on me disait "Tu travailleras à la sueur de ton front", me jetant à la figure cette éternelle malédiction qui accompagne l'humanité depuis qu'elle a quitté l’éden. Tous les progrès technologiques n'ont qu'un but travailler moins et moins durement. Pourquoi, alors que nous approchons du but, se refuse t-on à accéder à cette "terre promise". Besoin de posséder?, s'enrichir? consommer plus? souffrir? pour moi les réponses appartiennent à la psychanalyse, pas à la logique. Le progrès nous emmène vers un monde sans travail je vous invite à lire cette analyse pour vous en convaincre.
http://www.minorites.org/index.php/2-la-revue/1326-la-mort-de-leconomie-et-du-travail.html
Maintenant l'unique question qui doit nous préoccuper "A quoi allons nous occuper notre temps enfin libéré?" Question angoissante pour la plupart d'entre nous, conditionné depuis des siècles.
André Malraux a dit "Le 3ieme millénaire sera spirituel ou ne sera pas". A méditer quand même...

Thierry Curty le 08/10/2014 à 11:00

La réponse est non, on ne peut pas l'inverser. La disparition du travail est non seulement une conséquence de l'évolution, mais aussi une excellente chose, évidemment.

Il faut être pathologiquement atteint pour vouloir travailler et donner du travail. Le travail est une souffrance, par laquelle la société à été contrainte de passer, ne disposant pas des moyens technologiques de faire autrement. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui et elle n'a plus d'excuses pour ne plus exploiter les esclaves humains. Le simple fait de renoncer au travail ferait déjà économiser plusieurs dizaines de milliards annuellement à la Sécu. Rien que de mettre la retraite à 55 ans permettrait déjà au bas mot 30 milliards d'économies rien qu'à la Sécu, sans compter l'efficience des jeunes retraités qui créeraient alors de l'activité, prendraient en charge divers paramètres de la société.

De plus, quand on lit l'article, l'introduction en dit long sur la vision, obsolète du XXème siècle, pour le reste :

"La notion de chômage telle que nous la concevons aujourd’hui est apparue au xixe siècle en même temps que la révolution industrielle. "

Faux! Jusqu'à la fin des Trente glorieuses, consécutivement à la crise pétrolière des années 70, il s'agissait de chômage naturel. Ca arrangeait bien l'ouvrier, ça lui faisait des vacances, en particulier au XIXème siècle où il n'y avait que durant ses périodes de chômage qu'il avait congé.

A cette époque, nous avions le plein emploi (4.5% de chômage, c'est le plein emploi).

A la suite des Trente glorieuses, il s'est transformé en chômage conjoncturel, qui se reconnaît par de plus grandes durées d'indemnisations et plus de difficultés de retrouver un emploi.

Aujourd'hui, il s'agit de chômage infrastructurel. Le problème n'est plus l'emploi, mais le refus de la société d'admettre que le travail, c'est terminé!

On continue ensuite, où là on vire à la GABEGIE, avec le pouvoir de création monétaire...

Entre la crise pétrolière et 1986, l'Etat avait ce pouvoir de création monétaire. Pompidou fût le premier à y faire appel pour financer la perte des emplois et les investissements d'Etat. VGE a pris la relève et Mitterrand la suite, jusqu'à la première cohabitation de 86 où l'opposition est repassée à la majorité et s'est alors opposée à la loi de finance, contraignant Mitterrand à emprunter sur les marchés et donc à surendetter la France.

Durant 15 ans la France a connu une inflation de 10% en moyenne et sur cette durée, le franc français s'est dévalué de plus de 80%, passant de 1 franc français pour 4 francs suisses à exactement le contraire.

Autrement dit, la politique que soutient l'auteur a RUINE la France...en 15 ans!

Cet article est une des nombreuses théories fumeuses que je combats et qui contaminent le web avec des croyances mystiques, focalisant le regard de l'internaute moyen qui n'y comprend déjà pas grand-chose grâce à cette vision simpliste et populiste.

Non, nous sommes au XXIème siècle et au XXIème siècle, il faut une économie du XXIème siècle, évidemment...qui inclut qu'il n'y a plus de travail et donc plus de chômeurs.