Littérature

Plaidoyer pour une langue française égalitaire



Ni linguiste ni académicien, mais épicier et militant féministe, Davy Borde étudie la question du sexisme dans la langue française. Dans son ouvrage Tirons la langue, il nous encourage à subvertir le français pour aller vers une société plus paritaire.

Toutes les langues sont le reflet de la société dans laquelle elles s’insèrent. Cependant, aujourd’hui, bien que la société française aille vers plus d’égalité, sa langue est cadenassée par une Académie française vieillissante. Le français en tant que langue reflète à bien des niveaux la domination masculine : cela passe par le vocabulaire, les expressions ou la grammaire. En grammaire, on apprend par exemple que « le masculin l’emporte sur le féminin ». Cette symbolique patriarcale, aucune langue romane n’y échappe.
Dans le vocabulaire, on a encore des réticences à troquer les « droits de l’homme » contre les « droits humains », ce qui me fait dire qu’il y a quelque chose qui se passe au niveau de l’inconscient, que la culture patriarcale est vraiment profondément ancrée en France. De même, « mademoiselle » ne devrait plus apparaître dans les formulaires administratifs [depuis 2012] mais, pourtant, le terme subsiste. Toutes ces symboliques vont dans le même sens : la domination de l’homme. On argue que ce sont des héritages historiques mais, quand on veut changer la société, il faut adapter les outils qui sont en place de sorte à être en cohérence avec ses buts.
Ne perdons pas de vue que la langue est un levier puissant. On pense avec les mots, on pense avec une syntaxe, on pense avec une grammaire. Du coup, on pense avec les symboles qui sont rattachés à ces mots. S’il y a une symbolique intégrée dans la langue, vous l’intégrez aussi dans votre manière de penser. Garder ce frein n’aide pas à avancer.
Et, changer la langue ne veut pas forcément dire faire la révolution. C’est une réforme à imaginer avec une temporalité qui peut être douce. Mais le statu quo n’est pas viable : on ne peut pas rester avec une symbolique patriarcale dans une société égalitaire.
Il faut nourrir une autre représentation du monde. Par exemple, voir des femmes accéder à des postes dont elles étaient exclues autrefois nous aide à nous représenter un monde paritaire. Il en va de même avec le langage.

« Les limites du langage sont les limites de notre monde », selon le philosophe autrichien
Ludwig Wittgenstein, que Davy Borde cite dans son livre.

Que peut-on faire au quotidien pour rendre notre langage non sexiste ?

À l’oral, quand on parle de métiers ou de fonctions, si la forme masculine et la forme féminine existent, on peut les énoncer toutes les deux. Dire par exemple « tous les étudiants et toutes les étudiantes ». C’est un effort facile. À l’écrit, on peut faire de même. On peut aussi aller plus loin et faire ce que font les féministes depuis des dizaines d’années, c’est-à-dire créer de nouvelles formes – que j’appelle les formes universalistes –, qui reprennent les termes féminins et masculins pour créer un nouveau mot qui renvoie à l’ensemble des humains pratiquant l’activité. Par exemple : « les étudiant·es, les étudiant-es, les étudiantEs, les étudiantes ». Je propose pour ma part dans mon ouvrage des formes légèrement différentes, afin d’arriver à une nouvelle prononciation. Je souhaite que ces formes puissent être dites et que l’on comprenne qu’on ne parle pas que des étudiantes ou des étudiants, mais bien des personnes qui font des études [« les étudiandes »]. D’autres formes peuvent être imaginées.
On croise ces formes de plus en plus fréquemment, dans les tracts politiques, sur Internet, dans les publications féministes, libertaires, dans les revues anarchistes…

Pourquoi est-ce encore difficile d’appliquer ce langage en France ?

Le doublement – « mes chères Françaises et mes chers Français » – est souvent pratiqué, mais les nouvelles formes graphiques bloquent. Pour moi qui pratique ces formes graphiques depuis des années, ce qui bloque ma lecture, c’est quand elles ne sont pas appliquées ! C’est une simple question de changement d’habitudes et de savoir qui va oser faire le premier pas sans avoir peur de rebuter le lectorat ou que la forme empêche d’accéder au fond. Si on veut sauter le pas, il faut établir un agenda : se dire de quelle manière on va le faire, puis y aller doucement, pas à pas. Cela demande d’avoir une vision claire à long terme. Souvent, on ne veut pas imposer d’éventuelles difficultés de lecture. On a peur de perdre l’autre, et ce pour des raisons économiques, politiques… On pense que le fond est plus important que la forme, alors que tout est lié. Ce qui est important, ce n’est pas forcément le but, c’est aussi le chemin, la manière dont on fait les choses. Je comprends ces craintes, mais je pense que, bien expliqués, tous les changements sont acceptables. Il suffit de se lancer et de faire le premier pas d’une longue série !

 

Propos recueillis par Diane Routex


Quelques propositions du genre universaliste (forme transitoire => forme fusionnée) :

Ils + elles = i·elles => iels

Ceux + celles = ceux·lles => ceulles

Nouveau + nouvelle = nouveau·lle => nouveaulle

Chômeur + chômeuse = chômeur·se => chômeurze

Agriculteur + agricultrice = agriculteur·rice => agriculteurice

Français + Françaises = Français·ses => Françaisses

Paysan + paysanne = paysan·ne => paysame


Plaidoyer pour une langue française égalitaire  non sexiste

À lire : Tirons la langue, Plaidoyer contre le sexisme dans la langue française (éditions Utopia, 2016)


Lire aussi : Un rêve d’égalité devenu réalité en Éthiopie

Lire aussi : Parité femme-homme : la Suède montre l’exemple

Le 8 mars 2017
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Laurent le 14/03/2017 à 00:30

Pas simple de créer une langue "universaliste".
Par exemple, gars + filles, ça donne quoi? Garces?
Ca aurait au moins l'avantage d'être amusant!
Plus sérieusement, plutôt que de créer une novlangue, qui risque d'être difficile à faire accepter, pourquoi ne pas utiliser le féminin quand les femmes sont majoritaires dont un groupe? Et quand il est impossible de déterminer lequel des deux sexes est le plus nombreux, utiliser indifféremment le masculin ou le féminin?
Qu"en pensez-vous les filles?

Pseudo le 09/03/2017 à 23:53

J'avais rédigé un commentaire beaucoup trop long à la base alors j'ai dû faire plus court. Tout d'abord merci d'avoir lu et répondu à mon premier commentaire.
Concernant Cléopâtre, le problème est que le mot impératrice renverra à sa condition de femme dans un statut d'empereur (ou pire, de femme d'un empereur) alors que le mot empereur renverra avant tout à ce fameux statut et une Cléopâtre empereur rejoindra Auguste et Napoléon là où elle sera exclue par l'impératrice.
La langue Française est inégalitaire entre les hommes et les femmes et le fait d'utiliser le féminin le plus possible comme cela est conseillé met les femmes à la même place que l'homme sur une échelle verticale mais pas horizontale. J'ai l'impression que l'on est dans un système comparable à l'émancipation des populations noires: Les noirs doivent avoir accès comme les blancs à l'éducation alors on leur créé des écoles réservées aux noirs et les écoles déjà existante deviennent des école pour blanc tandis qu'émerge une séparation entre les deux alors que la meilleure solution (selon moi) est de les rassembler au même endroit. C'est la même chose pour le "ils" qui a déjà une valeur plus globale. Si il n'y avait pas de féminin, alors le "il" et le "ils" devraient être utilisé pour les femmes comme pour les hommes et aurait une valeur neutre obligatoire alors que l'utilisation du "elle" masculinise encore plus le "il".
Enfin, concernant le facteur... homme ou femme, facteur ou factrice, personne n'aime se faire héler (même si ça arrive plus souvent aux femmes qu'aux hommes).
Je considère avant tout que l'utilisation du féminin et l'encouragement à dires Etudiants et étudiantes ne fait que renforcer les inégalités puisque quand je dit "Etudiants" j'englobe tout le monde, quand je dis "Etudiants et étudiantes" je fait une distinction entre les unes et les autres.
Finalement je rejoins Jean Michel, le genre universaliste tel qu'il est proposé ne peut pas marcher (déjà parce-qu'il est assez inaudible). De toute manière l'évolution est toujours en marche, les changements sont trop récents pour qu'on tombe directement dans une société égalitaire envers les sexes et imposer cette égalité dans la langue parait trop complexe mais si un genre neutre devait arriver je pense (et j'espère) qu'il viendra d'une chanson, d'un livre, d'un film ou d'un jeux-vidéo plutôt que d'une loi. Si ce genre plaît il, elle, iels (ou "they" comme disent les anglais) finira par s'imposer.

Cau Nicolas le 09/03/2017 à 18:08

La langue français a donné un genre à tous les mots ex UN fauteuil et UNE chaise, pourquoi ? J'ai pas trouvé la logique. Pour les titres et fonctions, un genre neutre aurait été égalitaire mais comment changer les habitudes ? changer cela devient compliqué et désagréable à l'oreille. Pourquoi ne pas dire "un pompier" ou "un maire"" pour une femme, à la longue et à l'usage le genre masculin deviendra vraiment neutre ... faisons simple

louyer le 08/03/2017 à 22:39

connnaissez-vous le kotava ?
https://fr.wikipedia.org/wiki/Kotava
Trop compliqué pour vous, essayez le toki pona
https://fr.wikipedia.org/wiki/Toki_pona
, c'est beaucoup plus simple.

seb le 08/03/2017 à 19:56

Plus d'accord d'adjectif, plus de masculin ni féminin, juste des je, des vous, des tu, des gens, des nous...
Je suis pour la neutralité et le fait de montrer des points commun plus que des différences.

Et si en plus ça existait dans l'origine latine, ça permettrait de trouver une solution plus universelle que de ne réfléchir qu'au problème du Français.
Le latin étant à l'origine de bien des langues, parfois plus parlé dans le monde que le Français...

Quitte à réfléchir à un problème globale, autant le traiter de manière globale par une solution possiblement existante dans l'origine de nos langues, plutôt que d'inventer une nouvelle façon de faire.
ça sera probablement plus rapide aussi pour les linguistes qui devrons bosser sur le sujet :-)

Louise le 08/03/2017 à 18:10

En réponse à notre pseudo [il ou elle, on ne le saura pas]; notre histoire en français a donc fait de Cléopâtre une femme emprisonnée dans son statut d'impératrice; alors que de l'appeler empereur l'aurait libérée? Je soupçonne notre pseudo d'être un homme; s'il était comme moi une factrice, souhaiterait-il se faire hêler "Hé! Facteur, y a t-il une lettre pour moi?".

Le genre neutre pourrait être une piste. Dans ce cas, comment m'appeler?

Jean Michel le 08/03/2017 à 17:29

Le neutre existait en latin. Mais le français ne l'a pas conservé dans son système grammatical. On peut le déplorer, certes. Mais les "propositions de genre universaliste" ne me paraissent guère convaincantes. La langue ne résulte pas d'une décision, si bien intentionnée e soit-elle. L'usage ne s'impose qu'avec l'accord des locuteurs. Qui sera capable de les convaincre ?

Sachka le 08/03/2017 à 17:19

C'est une inititive ambitieuse et intéressante. Mais je rejoins le commentaire selon lequel il faudrait rendre la langue française plus neutre, et que le "elle" signifie quelque part qu'il existe une distinction dans la représentation des sexes et qui va dans le sens d'une infériorité de le femme.
En tous cas merci Kaizen de nous permettre d'accéder á une culture intelectuelle alternative.

Borges le 08/03/2017 à 17:06

Il faut réécrire l'histoire comme dans 1984,jeté les livres sexiste,machiste,misogyne et dangeureux comme dans Farenheit 451
et investir tous les secteurs de la société à l'obsession de l'inégalité pour culpabiliser le mâle,le castrer surtout, augmenter les névroses.
c'est évidement l'inverse de l'acceptation de la différence des efforts continus pour la liberté et le vivre ensemble.
Ce n'est pas grave . Ne serait-il pas plus facile d'adopter un langue sans genre?
Ne pourrions nous pas éliminer des bibliothèques,tous ces romans sexistes écrits lors des siècles précédents,toutes ces chansons de Brassens,misogynes
Assainissons le patrimoine pour que nos enfants n'aient plus de problèmes
avec le poids du passé et de ses traditions,de ses normes, de ses conventions pourqu'ils aient une personnalité forte, avec des repères forts,
plus aucun doute et une confiance aveugle dans le futur qu'on leur prépare !
Peut-être pourrions nous quand même parler de vrais problèmes comme la lutte des classes ,le monde ultra capilatiste,
Et pour les transgenres que dire? un transgenre,une transgenre
Un transgenre dodue ou une transgenre dodu
Mais ,au fait ,toutes les cultures sont -elles aussi inégalitaires et sexistes que la nôtre, se valent-elles toutes?

Pseudo le 08/03/2017 à 16:16

Je ne suis pas vraiment d'accord avec ce qui est avancé. Pour moi l'important dans l'égalité des sexes c'est que quand on parle d'une femme on pense à l'être humain avant de penser à ce qu'il y a sous ses vêtements. Avant je considérais comme normale l'explication du masculin l'emportant sur le féminin, symbole d'un patriarcat encore présent dans la société. Mais en fait ce n'est qu'une explication, pour moi c'est le "Elle" qui est le plus stigmatisant pour les femmes puisque le "il" et le "ils" peuvent désigner un homme, plusieurs hommes et femmes ou une personne dont on ne connait pas le sexe alors que le "elle" met les femmes à l'écart, il pointe le fait que l'être humain dont on parle est une femme là ou le "il" est ambigu. Je pense que pour aider à une véritable égalité des sexes (sur le plan social) il faut aller vers un genre neutre (et si possible plus confortable à l'oral que le "iels" proposé) et effacer le féminin et le masculin. Le fait de dire factrice au lieu de facteur ne donne pas une légitimité aux femmes, il les emprisonne dans le suffixe qui souligne encore une fois leur sexe avant de donner une sens au mot. Plutôt que de créer une nouvelle distinction entre hommes et femmes pourquoi ne pas essayer de leur rajouter des points communs?

Louise le 08/03/2017 à 15:58

Une langue égalitaire? OUI; passons à l'acte; sans attendre. Un petit pas pour nous et... pour vous = un grand pas pour les générations qui arrivent. Merci Diane.