Énergie

BBC: la peau de l'ours se transforme en grille-pain



Je répète, la peau de l’ours…

Hé oui le Grenelle l’avait clamé haut et fort, la France va maintenant faire figure de leader en matière de performance énergétique des bâtiments avec ses 50kWh/m2.an (lire 50 kiloWattheures de consommation par mètre carré et par an) et des bâtiments positifs, qui produisent plus qu’ils ne consomment, en 2020 !

Enfin on redevenait leader, ou presque, ils allaient voir tous ces ostrogoths. Bien sûr il restait quelques détails à régler : la surface en mètres carrés, tant qu’à faire plus il y en a, plus le quotient est bas. On a donc pris la SHON, à ne pas confondre avec schön (« beau » en allemand), car il n’est pas ici question d’esthétique, mais simplement d’un acronyme désignant la Surface Hors d’œuvre Nette – avec un RT qu’on lui a accolé, qui signifie Réglementation Thermique…

Sachez que cette SHON n’a pas de réalité physique, mais qu’il s’agit seulement d’un savant stratagème de règles et de conventions. Le principe est assez merveilleux puisque l’on calcule la surface extérieure d’un bâtiment, dite brute, incluant donc l’épaisseur des murs. On va ensuite faire différentes déductions (combles non aménageables, balcons, loggias…), y compris finalement la surface supplémentaire nécessaire à l’amélioration thermique. En effet calculer l’épaisseur des murs, puis déduire la surface supplémentaire c’est beaucoup plus simple que de calculer la surface intérieure… Calculer seulement des « mètres carrés chauffés » aurait, bien entendu, été trivial, nous sommes en France.

Cette petite mise en jambe sur le calcul de la surface du bâtiment, qui a priori pourrait sembler assez simple, permet d’illustrer la façon dont la question est abordée.

J’ai entendu il y a peu que « l’administration française c’est l’Union Soviétique qui a réussi » donc pas de raison que la performance thermique y échappe, non mais !

Le principal indicateur de performance se mesure en kWh/m2 comme vu précédemment, justement qu’y a-t-il derrière ces fameux kilowattheures, qui donnent la mesure de l’énergie consommée, mais convertie en énergie primaire ?

Toutes les énergies ne sont pas disponibles matériellement dans la nature… on ne connaît pas de « mines d’électricité ». L’énergie primaire est donc supposée donner la mesure totale de l’énergie nécessaire pour mettre à disposition l’énergie finale. Le bois, l’électricité ou le soleil ne sont pas logés à la même enseigne, mais là aussi de savants coefficients permettent de convertir l’énergie finale supposée être celle que l’on comptabilise pour chauffer son logement en énergie finale additionnant tout ce qu’il y a « derrière la prise » ou « derrière le tuyau ».

Sachez donc que l’énergie primaire de l’électricité s’obtient à l’aide d’un coefficient multiplicateur de 2,58, autrement dit, pour 1kWh final d’électricité, une fois additionné tout ce qu’il y a derrière la prise (rendement des centrales, transport…), on arrive à 2,58 kWh d’énergie primaire.

Cependant sur ce point il y a débat puisque ce coefficient est estimé à 3,35 dans le dispositif européen Display, voire même à 4 pour l’association négaWatt. Pour le bois, par contre, nous passons d’un coefficient de 0,6 pour le label BBC Effinergie, à 1 dans la nouvelle Réglementation thermique… les rendements des poêles à bois ont certainement dû baisser entre-temps ? Là encore on constate que les valeurs et unités sont totalement tributaires de conventions.

Voyons donc maintenant ce que signifie « être BBC » ou « RT 2012″… BBC, qui signifie Bâtiment Basse Consommation, et n’a donc rien à voir avec Radio Londres, est un label volontaire, incitateur mis en place en 2006 par l’association Effinergie en vue de préfigurer la future Réglementation thermique.

Cette nouvelle RT 2012 se met en place progressivement tout au long de l’année et selon les types de bâtiments.

Il y a peu, les bâtiments connus sous l’appellation BBC se calculaient à partir de la RT 2005 (la précédente). Le passage à la RT 2012 n’a pas seulement consisté à modifier les niveaux d’exigence attendus, mais aussi et surtout, à mettre en place un nouveau mode de calcul.

Le label BBC est donc en train d’évoluer courant 2012 pour un niveau d’exigence supplémentaire à celui de la réglementation et pour traiter également les bâtiments existants.

L’association Effinergie, responsable du label BBC, est constituée de la plupart des Régions en tant que collectivités, mais aussi de Centres techniques, d’industriels, de fédérations professionnelles, etc. On y trouve des représentants des métiers du bâtiment ou de l’amélioration thermique comme la Fédération Française du Bâtiment ou l’Agence Nationale de l’Habitat mais aussi des organismes dont les intérêts semblent d’emblée plus orientés, comme par exemple la Fédération des Laines Minérales, le Syndicat des fenêtres Aluminium, ou le Comité National de Développement du Bois. On peut imaginer que les consensus s’y obtiennent de haute lutte et que les objectifs publics défendus par les collectivités territoriales sont confrontés à des objectifs bien plus privés.

Les enjeux au sein d’Effinergie sont finalement assez représentatifs des débats autour de la Réglementation thermique et des règles de calculs qui en découlent.

La complexité abordée au sujet du calcul des surfaces ou des coefficients de conversion d’énergie vus plus haut n’est qu’une promenade de santé à côté des nouvelles règles de calcul. On est passé d’environ 150 pages dans la RT 2005 (règles Th-CE pour les intimes) à près de 1400 pages avec la RT 2012. On imagine bien la limpidité d’un tel pavé…

Si l’on s’interroge sur le résultat, on découvre quelques perles, comme le fait que les calculs se modulent selon les régions, selon les altitudes et selon les fonctions des bâtiments. Tout ceci semble logique à priori, en effet le climat de Lille n’est pas celui de Nice. Pour autant est-il bien normal qu’en faisant varier ces paramètres on puisse arriver à près de 150 kWh/m².an, au lieu des 50 kWh/m².an annoncés comme l’objectif de la RT 2012? Une variation allant du simple au triple ?!
On est informé, avec toutes les précautions de rigueur, que le calcul réglementaire ne saurait en aucun cas « être prédictif »… en effet quelle drôle d’idée que de faire un calcul qui permettrait d’évaluer ce que seront les consommations du bâtiment que l’on projette ! On apprend aussi que le calcul pour le logement collectif prend en compte une période de vacance hivernale diminuant d’une semaine la période de chauffe, cette précaution visant sûrement le logement social des quartiers, dits populaires, coutumiers des vacances à la neige ?

On en vient à se demander pourquoi des règles si complexes pour des résultats si approximatifs et annoncés comme non représentatifs des consommations réelles.

Quitte à donner dans l’approximation, ne serait-il pas plus incitateur de disposer d’outils de calcul simples et transparents ? Des outils qui permettraient ainsi une approche coopérative avec des retours des usagers. Ces retours contribueraient à enregistrer de plus en plus de données pour affiner les calculs et les spécificités de contextes (géographique, climatique, usages, etc.), mais aussi des systèmes constructifs, notamment pour les bâtiments d’avant-guerre qui ne se modélisent et ne se comportent pas vraiment comme un mur béton-polystyrène. Bref, progressivement, par empirisme participatif, les estimations, sans être totalement prédictives, s’approcheraient davantage des consommations réelles.

Mais alors pourquoi cette complexité, ces nombreux coefficients et autres valeurs conventionnelles aboutissant à un labyrinthe dont même les plus chevronnés des thermiciens ne savent jamais vraiment très bien où ils vont déboucher ? Certains découvrent parfois un passage dans ce maquis leur permettant de sauter d’un coup quelques cases pour faire accepter des projets pas si vertueux.

Cette complexification ne permettrait-elle pas de camoufler les jeux d’influences sous des effets d’annonce ?

Finalement au cœur de ce maquis le terme BBC nous renvoie bel et bien à une radio londonienne bien utile pour coordonner la Résistance !

 

Texte : Vincent Rigassi

Le 5 juillet 2013
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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