Alimentation

V’île fertile, un maraîchage urbain dont vous êtes le héros

© Éléonore Henry de Frahan

Produire une alimentation durable et valoriser les déchets organiques, telle est l’ambition de V’île fertile. Cette association maraîchère participative est implantée depuis 2013 à Paris, dans le bois de Vincennes. Ses « héros » sont tous des urbains.

Dans un potager abrité par un rideau d’arbres centenaires du bois de Vincennes, situé dans le 12e arrondissement de Paris, des citadins se reconnectent à la terre nourricière. Sous la houlette de V’île fertile, une association maraîchère participative, ils se retrouvent bénévolement pour préparer le sol, réaliser du compost, semer, arroser, désherber et récolter. « Aucun n’a suivi de formation agricole en bio-intensif [conjugaison de différentes techniques, telles l’agroécologie et la permaculture, visant à produire une alimentation complète sur une petite surface], précise Raphaël Luce, l’un des fondateurs. L’objectif est d’apprendre et de faire ensemble : c’est plus rigolo et puis, tout seul, ce serait impossible. » La parcelle de légumes croquants – salades, blettes, radis, poireaux, carottes… – s’étend sur 600 m2, à laquelle s’ajoute une serre de 160 m2 qui abrite des tomates plantées dans des seaux en plastique récupérés auprès de la restauration collective.

Ici, on apprend à jardiner, mais à jardiner ensemble. © Éléonore Henry de Frahan

Un maraîchage urbain participatif

En 2013, Raphaël Luce entend parler de l’appel à projets Végétalisation innovante. L’initiative, lancée par la mairie de Paris, vise à promouvoir la biodiversité, l’agriculture urbaine et l’adaptation des villes au changement climatique. Épaulé par deux amis, Raphaël soumet l’idée d’un maraîchage urbain avec vente en direct au détail de légumes bio. Leur projet est sélectionné. Reste à trouver des terres fertiles. Justement, niché aux confins du bois de Vincennes, à 5 minutes à pied du RER A – arrêt Nogent-sur-Marne – se déploie l’incroyable Jardin d’agronomie tropicale, anciennement jardin René-Dumont, du nom de cet agronome engagé dans l’écologie. Cet espace vert a été créé quelques années avant l’Exposition coloniale de 1907. Un siècle plus tard, passée une porte à remonter le temps – d’inspiration chinoise, à la peinture rouge écaillée – on peut encore y voir les ruines d’un pavillon congolais, un pont khmer ou une serre exotique, vestiges du passé colonial de la France. C’est au cœur de ce jardin que V’île fertile est implantée. « Quand la division du bois de Vincennes [qui dépend de la direction des parcs, jardins et espaces verts de la mairie de Paris] nous a fait visiter ce terrain en friche de 1 100 m2 avec sa maison de jardinier, pour le mettre à notre disposition, on a eu un véritable coup de cœur », raconte Raphaël Luce.

Culture en bio-intensif

En parallèle à sa candidature à l’appel à projets, l’équipe de V’île fertile avait lancé une campagne de financement participatif sur la plateforme KissKissBankBank. Presque 6 000 euros avaient été récoltés, principalement pour acheter du matériel, en plusieurs exemplaires étant donné la dimension collaborative. Question main-d’œuvre, les trois amis parviennent à fédérer pas moins de 170 adhérents la première année. Des femmes et des hommes, d’une trentaine d’années en moyenne, habitant Paris et la proche banlieue. Mais, très vite, ce nombre fond à une soixantaine, dont une quinzaine de personnes très actives. Pas de quoi décourager cependant le noyau dur de l’association pour « passer du jardin d’agrément à la production maraîchère urbaine, du flâneur-cueilleur au glaneur-cultivateur », comme indiqué dans la charte de V’île fertile. Puisque tout intrant chimique est banni, les membres de l’association font leur propre compost afin de nourrir le sol avec un engrais naturel riche en matières organiques. Le fait d’être dans le bois de Vincennes leur permet de se fournir en déchets de tonte et en broyat de bois et de concocter du purin d’ortie. Grâce à la proximité de la ville de Nogent-sur-Marne, ils peuvent facilement récupérer les invendus du marché dans un chariot à bras, soit 40 à 50 kilos de déchets organiques par semaine. Autre provenance : le fumier du centre équestre de Joinville-le-Pont. Si ces nouveaux jardiniers expérimentent la rotation des cultures et l’association des plantes, cela ne les empêche pas de commettre des erreurs de débutant, comme de repiquer les courgettes tous les 30 cm au lieu d’un mètre !

Raphaël Luce, fondateur de V’île fertile, prépare le terrain. © Éléonore Henry de Frahan

Renouer avec la tradition maraîchère francilienne

Les membres de V’île fertile s’inspirent du maraîchage bio-intensif, qui consiste notamment à enrichir le sol en humus afin d’intensifier la production sur une petite surface. Ils puisent aussi dans les recherches en agriculture urbaine et les pratiques des maraîchers qui, jusqu’à la fin du XIXe siècle, encerclaient la capitale d’une ceinture verte. « C’est une aventure de pionniers, constate Élodie Mourier, 26 ans, adhérente et assistante monteuse de profession. Quand on a débarqué ici, la parcelle était en friche, il pleuvait dans la serre et on a trouvé un renard mort dans la cave de la maison de jardinier. Il y avait tout à faire, ça me plaisait. Je vois aussi un aspect politique dans cette initiative citoyenne. C’est une façon de revenir, ensemble, à des choses porteuses de sens, comme passer son samedi à cultiver de belles salades pour consommer local. » Du haut de ses 15 ans, Antoine, lui, se souvient de son premier coup de pioche dans la terre : « C’était très symbolique. » Et de sa première récolte : « Il y avait des courgettes. Elles n’étaient vraiment pas exceptionnelles, mais on les a photographiées tellement on était fiers. » En pleine révision de son brevet des collèges, celui qui rêve de devenir architecte afin de semer des plantes comestibles en ville est venu s’aérer la tête. Pour sa mère, Françoise Pennec, 45 ans, infirmière scolaire à Nogent-sur-Marne, adhérer à V’île fertile est un moyen de faire découvrir le cycle du vivant à ses deux fils : « Même si je leur explique, tant qu’on n’a pas expérimenté, on ne sait pas. Et puis cela me permet de partager avec eux ma passion pour les plantes : quand j’étais petite, je voulais être horticultrice. J’avais même essayé de faire pousser des cacahuètes dans la cabane de jardin de mes parents. »

Ateliers pédagogiques et team building

Afin d’atteindre l’autonomie financière – le chiffre d’affaires s’élevait à 6 000 euros en 2015 –, les légumes sont vendus sur place le week-end à des locavores réguliers ainsi qu’à des promeneurs curieux. Pour l’instant, à plein rendement, les apprentis maraîchers sortent de terre une tonne de légumes par an. Sur un tableau apposé contre la maison de jardinier sont indiqués les tarifs, indexés sur le cours des légumes bio. Et, pour sensibiliser davantage de gens, l’association a embauché, en mars 2016, une chargée de mission grâce à l’un de leurs mécènes, la fondation Carasso. Virginie Gautier propose ainsi des ateliers pédagogiques pour les enfants, notamment les scolaires, grâce à des subventions publiques. Parmi les thématiques abordées auprès de ces jeunes pousses : l’alimentation durable, le jardinage, la valorisation des déchets organiques ou encore l’agriculture urbaine.

Autre public dans le sillon de V’île fertile : les adultes, venus participer à des sessions de team building avec leur entreprise. Ce qui déclenche de houleux débats au sein de l’association. « Nous avons décidé collectivement de ne pas travailler avec des entreprises dont les valeurs sont fondamentalement opposées aux nôtres », souligne Virginie Gautier. Et d’énumérer, à titre d’exemple, quelques secteurs concernés : l’armement, le nucléaire, le pétrole et le gaz de schiste, ou encore les biotechnologies agricoles, comme la production de semences génétiquement modifiées. « Mais nous différencions les valeurs d’une entreprise de ses pratiques, ajoute‑t‑elle. Autrement dit, nous pourrions travailler avec une grande marque d’équipementier sportif dont les valeurs seraient liées au bien-être et à la santé, même si, en pratique, les conditions de travail en unités de production de ce groupe sont douteuses. C’est ainsi qu’après d’âpres débats internes, en juin 2016, vingt employés d’un grand groupe de tabac sont venus passer une journée de team building à vocation de sensibilisation sociale, comme le pratiquent les entreprises anglo-saxonnes. » Le tarif : 1 500 euros, repas compris. Après une visite guidée, de 9 heures 30 à 10 heures 30, le groupe se répartit en ateliers, encadrés par quatre personnes de l’association. Au programme : maraîchage, aménagement d’un jardin zen, cuisine végétarienne pour le déjeuner collectif et fabrication du compost.

« Se reconnecter avec ce qui nous nourrit. »

Andry Razafindrakoto, chargée Responsabilité sociale des entreprises du groupe, opte pour la voie zen : « Pour des bureaucrates plongés dans le virtuel, c’est enrichissant de toucher le concret en mettant les mains dans la terre. Et puis, cela me permet d’apprendre à mieux connaître mes collègues : au bureau, quand on se croise, on parle boulot. Là, on est loin du stress. » Pendant ce temps, d’autres salariés s’affairent en cuisine. « Où sont les assiettes à dessert ? », demande l’un. « Il n’y en a pas, répond Virginie Gautier. On vous avait prévenu, ce n’est que de la récup’. » David Cerval, du département marketing, a, lui, choisi l’atelier maraîchage. Le voici en train de prolonger une rangée de petits pois et de navets : « C’est intéressant de pouvoir se reconnecter, de façon pragmatique, avec ce qui nous nourrit. Je me rends compte que rendement et durabilité ne sont pas incompatibles. Le fait de préparer le sol et de discuter avec les adhérents, ça me donne envie de sortir de mon approche caricaturale de l’écologie. Je vais me documenter pour en apprendre davantage sur l’agriculture bio. » Et de conclure : « Finalement, pas besoin de sauter en parachute du haut d’un hélicoptère pour renforcer la cohésion d’équipe : rien de mieux que la simplicité. » Une simplicité… heureuse. En témoignent les éclats de rire qui fusent lors du déjeuner pris à l’ombre d’un noisetier.

Par Aude Raux

Article initialement paru dans Kaizen numéro 28.


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Le 15 décembre 2017
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