Alimentation

Avec Vrac, le bio se démocratise
dans les quartiers populaires



Depuis 2013, une association lyonnaise popularise les produits bio, locaux, issus de circuits courts, grâce à des groupements d’achats vendant à prix coûtant et touchant un public issu de quartiers populaires jusque-là peu habitué à ce mode de consommation.

 

9 heures dans le centre-ville de Vaulx-en-Velin. Sur les tables du centre social de cette commune de la banlieue de Lyon, s’accumulent du fromage, des pâtes, du riz, des compotes, de l’huile d’olive, du chocolat, des produits ménagers, du gel douche, etc. On s’agite dans tous les sens, on pèse, on mesure. Beaucoup échangent des sourires, prennent des nouvelles les uns des autres. Et puis on s’interpelle, on parle de politique, d’égalité femmes-hommes, d’écologie…

Chaque mois, les bénévoles affluent, pour prêter main-forte aux salariés de Vrac (Vers un réseau d’achat en commun). Créée en 2013, l’association permet aux habitants des banlieues d’accéder à des produits de qualité, bio et/ou locaux à prix coûtant, par le biais de groupements d’achats.

 

« J’ai convaincu par le goût et par le prix »

Le projet est né de la rencontre de trois hommes : Marc Uhry, alors responsable Europe de la fondation Abbé-Pierre, Cédric Van Styvendael, directeur général d’Est Métropole Habitat, et Boris Tavernier. « En 2003, avec deux amis, on avait monté un bar-restaurant coopératif à Lyon [nommé De l’autre côté du pont], avec la volonté de montrer que l’on peut consommer mieux sans que cela coûte plus cher. Ça fonctionnait très bien mais, très vite, j’ai vu que ça touchait plutôt un public averti, des gens avec des moyens », explique ce dernier.

Tous les trois réfléchissent alors à un projet qui permettrait aux habitants des quartiers défavorisés de développer leur « reste à vivre », tout en accédant à des produits de qualité et en luttant contre la solitude. « On m’a chargé du projet en me disant “Enferme-toi dans un bureau pendant trois mois et réfléchis”. J’ai fait tout le contraire ! », se rappelle Boris Tavernier avec un sourire malicieux. À la place, il a sillonné les territoires concernés, rencontré les habitants, les structures et associations locales. Il a discuté, écouté les besoins, participé à des ateliers. « Il fallait que je me fasse accepter, raconte-t-il. Puis j’ai organisé des dégustations de produits à l’aveugle, sans parler de bio ou de local. J’ai convaincu par le goût et par le prix. »

 Lutter contre la malbouffe

Vrac vend à prix coûtant. Pour cela, elle négocie des tarifs en gros, grâce à des groupements d’achats qui centralisent les commandes. L’association achète directement auprès des producteurs, en local lorsque c’est possible. Les adhérents viennent aux distributions avec leurs bouteilles et leurs sachets pour se répartir les produits proposés en vrac. Pour financer la rémunération des quatre salariés lyonnais et les frais de fonctionnement, Vrac reçoit des subventions de partenaires : cinq bailleurs sociaux*, la fondation Abbé-Pierre, la fondation Carasso et la Métropole de Lyon.

« C’est un investissement. On répond à un besoin social en travaillant notamment sur la santé des habitants défavorisés, estime le co-fondateur du projet. Et ce sans être dans une posture moralisatrice. » Par exemple, des adhérents ont pu aller rencontrer des producteurs qui fournissent l’association. C’est le cas de Marie-Noëlle, retraitée pleine d’énergie et bénévole depuis le début : « C’est important de mieux comprendre ce que l’on mange, de voir comment c’est produit. J’ai adhéré à Vrac car je pense que la lutte contre la malbouffe est importante et que nous, les petites gens, on devrait aussi pouvoir bien manger. » Or, comme l’observe Boris Tavernier, « ces quartiers sont fortement touchés par le diabète et l’obésité ». Peu transformés, les produits proposés par Vrac sont bien souvent moins sucrés et moins gras que ceux disponibles en grande surface.

L’association achète directement auprès des producteurs, en local lorsque c’est possible. Les adhérents viennent aux distributions avec leurs bouteilles et leurs sachets pour se répartir les produits proposés en vrac.

Mieux manger pour mieux vivre ensemble

Pour se financer, Vrac a par ailleurs décidé, début 2018, de faire payer l’adhésion plus cher à ceux qui ne vivent pas dans un Quartier prioritaire de la Politique de la Ville (QPV) : entre 20 et 50 euros contre 1 euro pour les autres. « Cela permet de rapporter un peu de fonds propres à l’association, explique Boris Tavernier. On ne veut pas interdire l’accès aux gens plus aisés. Aujourd’hui, 30 % des adhérents ne viennent pas de QPV. C’est un facteur de mixité. Cela permet la rencontre de populations qui se croisent rarement. »

Avec le temps, les distributions sont devenues des facteurs de rencontre et de lien social. « On se raconte nos histoires de quartier, nos difficultés et nos réussites dans le vivre-ensemble. Il y a une vraie vie sociale ici, mixte et transgénérationnelle », raconte Agnès, adhérente et bénévole depuis un an et demi. Un constat partagé par sa collègue Marie-Noëlle : « On discute, on fait du relationnel. On a besoin de lieux pour se rencontrer en banlieue. »

Avec aujourd’hui plus de 1200 adhérents répartis dans les treize groupements d’achats de l’agglomération lyonnaise, Vrac connait une croissance exponentielle. Pas moins de 240 000 euros de produits ont été distribués en 2017 contre 55 000 en 2015. Forte de ce succès, l’association a essaimé : des groupements se sont créés à Strasbourg en 2016 et à Bordeaux en 2017. Et Vrac a gagné plusieurs concours. Lauréate notamment de la fondation « La France s’engage », elle a remporté une dotation conséquente et un accompagnement de trois ans pour enraciner le modèle ailleurs. Des groupements sont déjà en train de germer à Toulouse et à Paris.

Par Leïla Piazza

 

* Est Métropole Habitat, Alliade Habitat, Lyon Métropole Habitat, Grand Lyon Habitat et Dynacité


Lire aussi : Le Marché sur l’Eau, unique en Île-de-France

Voir aussi : L’écoquartier des Mureaux, pour mieux vivre ensemble

 

Le 4 avril 2018
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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