Économie & Gouvernance

L’open source : l’esprit du don



La « propriété intellectuelle libre » (open source) ne se limite pas à l’informatique. Plusieurs réalisations de projets en agriculture, en production d’énergie ou dans l’industrie prouvent que l’auto-construction, les licences libres et le partage de savoir-faire sont efficaces, moins coûteux et à la portée de tous.

 

« Dis Joseph, cela te dirait qu’on édite un livre et qu’on monte des formations ? »

C’est ainsi qu’un beau jour, au milieu des champs, Fabrice Clerc propose à Joseph Templier de se lancer dans l’écriture d’un guide collectif sur l’auto-construction d’outils pour le maraîchage biologique : une aventure de deux ans et demi.

Fabrice est technicien en maraîchage et responsable du pôle machinisme de l’Adabio, association pour le développement de l’agriculture biologique dans le sud-est de la France. Depuis le début des années 2000, Joseph, maraîcher biologique, conçoit et fabrique des outils aux noms bucoliques : butteuse, cultibutte, vibroplanche… Accompagnés d’un autre animateur, Vincent Bradzlawsky, les deux compères  coordonnent la réalisation d’un guide collectif de l’auto-construction d’outils de maraîchage. En parallèle, ils mettent en place des formations pour enseigner aux utilisateurs le bon maniement des outils.

Réappropriation des savoirs

« On s’est d’abord spécialisés dans le maraîchage, explique Fabrice. Ce type d’exploitation nécessite une gamme d’outils à la fois polyvalents et spécifiques. La multiplicité des cultures impliquait de concevoir des outils adaptables. » L’auto-construction permet de diviser par deux à quatre fois la somme à investir par rapport à des produits du marché de gamme équivalente. En outre, le stagiaire acquière les compétences pour entretenir, modifier et réparer ses outils. Petit plus non négligeable : la structure Adabio a mis en place des achats groupés qui amoindrissent le coût des matériaux.

open source adabio

L’objectif du guide et des formations était de participer à la réappropriation des savoirs tout en diminuant les coûts d’équipement, de former les utilisateurs et de créer un réseau social informel de producteurs biologiques. « On a bénéficié d’une dynamique de coproduction déjà forte dans le milieu du maraichage, note Fabrice. On déroule le fil d’une pelote dont on ne voit pas encore la fin. Nous avons découvert tout un ensemble de producteurs participant à la constitution du savoir. C’est un ouvrage collectif qui s’est développé à mesure du projet. »

Suivant cette logique de diffusion des compétences, la production d’Adabio est placée sous licence Creative Commons. C’est un système gratuit de six licences établi en 2002 qui permet aux titulaires de droits d’auteur de mettre leurs œuvres à disposition du public sous conditions prédéfinies. Créées pour faciliter l’échange de contenus sur le Web et dans la production de logiciels, ces licences se développent également dans d’autres domaines. Adabio a opté pour celle autorisant l’utilisation libre de ses plans (avec obligation d’en mentionner la source), leur modification (à condition de rendre public tout changement) et leur usage commercial (sous réserve de l’accord de l’association).

Diffusion des savoirs par la propriété intellectuelle libre

La « propriété intellectuelle libre » est un système qui facilite et encourage la diffusion et le développement des connaissances par les utilisateurs. Pour Adabio, cette tendance s’est confirmée par la vente de 400 exemplaires du guide : un nombre conséquent dans la mesure où le public visé – les maraîchers – ne constitue qu’une niche de l’agriculture. En octobre 2011, face au succès de l’opération et à l’explosion de la demande de formations, plusieurs producteurs se sont regroupés pour créer une structure indépendante de portage du projet, « Adabio auto-construction ».

Issue de l’agriculture biologique, Adabio n’accompagne les producteurs qu’en agrobiologie. On pourrait toutefois imaginer l’adoption de ses outils dans des exploitations d’agriculture conventionnelle. « Certains producteurs se ferment quand ils entendent parler de bio mais sont ouverts au machinisme, constate Fabrice. C’est une porte d’entrée pour des maraîchers conventionnels pour se familiariser au bio. »

Face au succès, les concepteurs du projet ont mis en ligne un nouveau site et une chaîne vidéo sur Dailymotion afin de diffuser plus largement leurs savoirs. Et ils ne manquent pas de projets. Ils envisagent la publication d’un second tome du guide, enrichi de nouveaux tutoriels. Ils souhaitent également monter des partenariats avec les établissements d’enseignement spécialisés dans l’installation des agriculteurs. Un fonds associatif a été mis en place, instaurant un système de prêts de trésorerie solidaire afin de financer matériaux et accessoires. Aujourd’hui, l’association cherche des subventions pour lancer un camion-atelier itinérant sur les routes, afin d’organiser des week-ends de transformation de parc de matériel chez les producteurs de toute la France.

Toi aussi, construis ton tracteur électrique

Aux États-Unis, le mouvement Greenhorns a lancé Farm Hack [en anglais, le hacking désigne cette activité qui consiste à détourner un objet de sa fonction première]. Il s’agit d’une communauté de paysans tournée vers l’innovation. Elle collabore avec des ingénieurs, des designers et des architectes. Au cours des manifestations organisées par ses membres, on découvre des outils conçus par des agriculteurs et que l’on peut apprendre à construire : tracteur électrique, pyrodésherbeur dispensant les traitements à base de produits chimiques, nettoyeur de légumes-racines… Le micro-processeur open source (licence libre) Arduino fournit également des tutoriels pour des applications domotiques à la ferme. Avec, bien-sûr, mise à disposition sous licence libre de tous les plans sur le site web de l’association.

Village en kit

Autre projet américain de diffusion collaborative des savoirs, Open Source Ecology propose un « kit de construction du village global ». Cinquante machines open source « indispensables à la vie », à construire soi-même, du tracteur au four à pain en passant par le semoir, la voiture, le scanner et l’imprimante 3D.

Lors d’une célèbre conférence Ted (conférences en ligne sur la science, les arts, la politique et autres questions mondiales), l’animateur du projet, Marcin Jakubowski, ingénieur en fusion énergétique et paysan, explique sa démarche : « Nous savons que l’accès libre a été une réussite pour les outils de gestion de la connaissance et de la créativité. Le même phénomène est en train de se produire avec le matériel. Nous nous concentrons sur ce nouveau domaine parce que c’est lui qui peut changer la vie des gens de manière tangible. Si l’on parvient à décloisonner l’agriculture, la construction et la production, nous libèrerons un formidable potentiel humain. »

Sur cinquante machines, huit sont déjà prototypées. Les plans en 3D, schémas et vidéos explicatives sont disponibles sur un wiki (site collaboratif que chacun peut enrichir, sur le modèle de Wikipedia). Un projet en partie financé par le biais du crowdfunding (financement participatif) collecté sur la plateforme Kickstarter.

Éoliennes écossaises

Parmi les cinquante projets du kit de construction du village global, on trouve une éolienne. C’est ce type de matériel que Hugh Piggott, un Écossais vivant à Scoraig au nord-ouest des Highlands, propose d’apprendre à construire. En 1978, il se lance dans le parcours de création d’une éolienne. D’abord autodidacte, il fait sept tentatives, puis suit une formation pour progresser sur le plan technique. Il dispense, depuis 2001, des formations  sur la construction d’aérogénérateurs. Pour lui, il ne s’agit pas tant de réaliser des économies que de « reprendre sa vie en main ».

Hugh a partagé son savoir-faire à travers plusieurs manuels et « livres de recettes », comme il les appelle. L’un d’eux, Auto-construire son éolienne, est disponible en France, diffusé par l’association Tripalium.

Lorsque vous aurez construit tous vos outils indispensables grâce au Do it yourself (fais-le toi même) et aux licences libres, vous aurez mérité un bon repos. Libre à vous alors de siroter une bonne bière, open source bien-sûr : la Vores Ol (« Notre bière » en Danois) ou Free beer, dont la recette est placée sous licence Creative Commons. Ou peut-être un OpenCola bien frais, sous licence libre, évidemment, sur la terrasse de votre maison open source WikiHouse…

Texte : Xavier de Mazenod – Photo : Adabio

Pour aller plus loin

Guide de l’autoconstruction : outils pour le maraîchage biologique

Un ouvrage collectif présentant des techniques d’auto-construction, en partie issues des savoir-faire collectés auprès de maraîchers. Il présente en 250 pages une quinzaine d’outils et un système d’attelage ainsi qu’un tutoriel comprenant explications, photos, schémas, plans et liste des pièces. Les plans sont proposés sous licence libre.

Guide édité par l’Adabio (Association pour le développement de l’agriculture biologique) et Itab en 2012 (145 €). Préface de Pierre Rabhi.

Sources Web :

 

Le 22 février 2013
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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BOUMZINA RAINA le 24/10/2016 à 22:38

j'appreci enormement votre travail. moi je suis ingenieur en genie mecanique et electrique. je suis pour le libre acces aux connaissances. j'aimerais moi aussi apporter bientot ma contribution.

L’open source : l’esprit du don | Kaizen magazine le 24/03/2013 à 01:09

[...] Site de l’Adabio : www.adabio-autoconstruction.org [...]