Oui, nous sommes capables du meilleur

crédit photo : Michael Levy

Ce matin, il semble que quelque chose se soit apaisé chez certain d’entre nous qui avions si mal toute la semaine dernière. Le chagrin est toujours là, le manque aussi, mais beaucoup ont été rassérénés d’avoir participé (comme moi qui suis finalement allé marcher chez moi, loin des chefs d’État, emporté par l’énergie de mes amis et de toutes ces personnes) à cet élan extraordinaire qui a conduit 4 millions de personnes dans les rues de France, et plusieurs dizaines de milliers dans d’autres villes du monde.

Les velléités de récupérations politiques, que j’étais le premier à redouter, ont été reléguées au second plan par l’énergie fabuleuse de tous ces citoyens, citoyennes, jeunes, vieux, noirs, blancs, musulmans, juifs, chrétiens qui se sont rassemblés le temps d’une après-midi…

Non seulement nous nous sommes faits du bien mais nous avons raconté une histoire : celle de personnes capables de s’unir dans la douleur et l’adversité, de faire front pacifiquement face au meurtre et au fondamentalisme. Et il semble que cette histoire, encore teintée d’une autre histoire écrite en 1789, soit toujours de nature à inspirer des milliers de personnes dans le monde. À ce titre, la journée d’hier est une formidable réussite. Elle nous a montré de quoi nous étions capables.

Et aujourd’hui, encore quelque peu grisés, fiers et peut-être un brin désorientés, tout reste à faire.

photo charlie
crédit photo : Michael Levy

Véritablement apprendre à nous connaître

Dans ma ville, où une importante proportion des habitants est de culture musulmane, très peu sont descendus dans la rue. Nous ressentions un certain malaise à nous retrouver entre blanc-laïques-chrétiens qui regardaient entonner la Marseillaise (que je ne manque jamais l’occasion de ne pas chanter, n’ayant aucune envie d’abreuver un quelconque sillon du sang impur de qui que ce soit…). Quelque chose manquait, sonnait un peu faux pour ceux (comme moi) qui rêvent encore d’une France de la diversité, où chacun est respecté dans sa différence. À Marseille, qui connaît une typologie un peu similaire, on a dénombré 60 000 manifestants, dans une cité qui en compte un million. À mettre en balance avec les 300 000 de Lyon ou de Bordeaux…

Je n’ai discuté avec aucun musulman depuis hier matin et n’ai pas la prétention d’avoir une analyse particulièrement pertinente sur la question, mais voilà ce que je me suis dit : à leur place, et si je m’étais senti blessé par les caricatures de Charlie Hebdo, peut-être aurais-je été hésitant à me joindre à un cortège scandant des « Je suis Charlie » à tire-larigot, peut-être aurais-je eu peur d’être regardé de travers… Bien entendu, tous les arguments déjà ressassés sont tout à fait valables : les chrétiens aussi en prennent plein la figure dans Charlie, c’est une tradition française qui ne prête pas à mal, savoir rire de soi est sans doute une des qualités les plus appréciables et un signe manifeste d’intelligence, des musulmans sont venus manifester alors qu’ils n’étaient pas d’accord avec les caricatures… Pour autant cette situation, ainsi que toutes les informations qui ont circulé ces derniers jours (les réactions des enfants qui ont tant fait jaser, les 20 000 #jesuiskouachi…) ne montrent-elles pas que nous avons encore pas mal de chemin à parcourir pour véritablement nous connaître, nous comprendre et nous accepter avec nos différences ? Pouvons-nous raisonnablement nous contenter de demander aux musulmans de s’adapter à la France et ne jamais approfondir notre connaissance et notre compréhension de leur propre culture ? Doivent-ils l’éradiquer en foulant notre sol ? Est-ce notre vision de la diversité et de la richesse des différences ? Car, que nous le choisissions ou non, nous vivons ensemble. Et si nous voulons nous accorder la confiance nécessaire pour vivre en paix et traverser les épreuves, je ne crois pas que nous puissions en faire l’économie.

Chaque jour défendre et exercer notre liberté d’expression

Maintenant que nous savons à quel point nous sommes attachés à la liberté de la presse et à la liberté d’expression, nous avons de multiples occasions d’exprimer, au quotidien, cette préoccupation.

Charlie Hebdo allait mal avant ces événements tragiques. Le journal frisait le dépôt de bilan. La presse quotidienne n’est pas dans un meilleur état. Débordée par l’irruption des quotidiens gratuits distribués aux embouchures des métros, par la généralisation du numérique qui donne encore trop souvent l’impression fausse que l’information est gratuite, les journaux et les magazines (comme Kaizen) peinent à survivre. La logique capitaliste concentrationnaire conduit de grands groupes à agréger des titres et des titres à s’agréger en groupes, grands ou petits. Des banquiers, hommes d’affaires ou marchands d’armes possèdent désormais la plupart des grands quotidiens. Oui, l’information indépendante, l’insolence, le journalisme d’investigation, l’information de qualité ont un prix. Comme une bonne baguette de pain bio au levain ou un increvable pull marin de chez Armor Lux. Sommes-nous désormais prêts à payer ce prix pour nous mettre en accord avec nos convictions ?

Climat, néo-libéralisme, patriarcat, géopolitique…

D’autres sujets nous attendent et méritent tout autant que nous descendions dans la rue, que nous nous unissions, que nous fassions entendre nos voix. Le néo-libéralisme, jugé responsable de la montée terroriste par certains analystes, le patriarcat qui sévit certes dans des pays islamistes mais n’a pas déserté nos propres pays, la posture de nos diplomaties occidentales au Moyen-Orient et en Afrique… Et en premier lieu l’enjeu climatique, sans doute la pire des menaces à venir. Une chance, le sommet mondial se déroulera justement à Paris, à la fin de l’année. Nous y serons ! (en tout cas moi j’y serai…)

Cyril Dion
Directeur de la rédaction

 


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Le 12 janvier 2015
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