Culture & Solidarités

Guillaume Mouton : « Voyager est synonyme d’expérience initiatique »



Guillaume Mouton, alias Mouts, c’est l’acolyte de Nans Thomassey dans Nus et culottés, une série documentaire diffusée sur France 5 dans laquelle les deux compères débutent leur voyage entièrement nus, au milieu de nulle part. C’est aussi un fervent militant du « voyage autrement ». Il revient pour Kaizen sur sa vision du voyage.

Guillaume Mouton

Entretien recueilli pour « Voyager autrement », le dossier de Kaizen 26 en kiosque à partir du 21 avril 2016

En 2009, dans le cadre de votre projet EcoAmerica, vous avez traversé le continent américain en auto-stop. Pourquoi avoir choisi ce mode de transport ?

À l’époque, j’étais étudiant et, avec mon amie, nous avions très peu de moyens. Le stop était idéal, d’autant qu’il nous permettait aussi d’aller à la rencontre des populations locales. Nous avions un projet qui consistait à interroger des personnes travaillant dans l’environnement et sur des questions sociales et humanitaires : nous nous sommes vite rendu compte que le stop nous permettait d’élargir notre vision. Lors de notre visite du barrage d’Itaipu, au Paraguay, par exemple, nous avions été surpris de voir tout ce qui avait été fait pour prendre en compte les questions environnementales. Pour autant, en repartant, nous avons aussi appris de notre chauffeur que la construction avait engendré de gros problèmes d’insalubrité, notamment à cause de cette nouvelle retenue d’eau, et que tout un tas de maladies s’étaient développées depuis dans la région. La situation était tout à coup devenue beaucoup moins idyllique !

Vous avez grandi à la campagne, vous étiez déjà sensible à l’écologie. Est-ce que cela a influencé votre choix ?

Il y avait effectivement ce côté « économie énergétique ». Les voitures font le trajet. Donc, s’il y a des places libres dedans, que ce soit la benne d’un pick-up ou des sièges avec ceinture, autant les prendre. Cela ne change pas grand-chose à la consommation. Mais il y avait aussi et surtout l’envie d’avoir le temps de voir les langues, le relief et le climat évoluer au fil des kilomètres. Remonter le Chili en auto-stop, c’est fascinant. On peut faire 500 km dans le même type de désert et, d’un seul coup, découvrir un tout autre décor. Ces discontinuités m’ont fasciné.

Selon vous, comment peut-on voyager en limitant son impact environnemental ?

En essayant peut-être de se rapprocher de ce que l’on était à l’origine, c’est-à-dire des marcheurs. C’est forcément là où on a le moins d’impact en matière d’empreinte carbone. Après, je ne dis pas qu’il faut rester dans sa région, ne plus voyager loin. Car c’est aussi une chance inouïe de vivre dans une époque où l’on peut rencontrer nos semblables partout dans le monde, découvrir des cultures et s’immerger dedans. Certes, cela a un impact, qui peut être colossal et déplorable, sur l’environnement, mais, d’un autre côté, je me demande si l’impact sur l’humanité de nos déplacements ne peut pas être aussi merveilleux à partir du moment où l’on ne s’enferme pas dans des clubs et hôtels entre Occidentaux. Parce que réaliser qu’il y a des codes sociaux très différents des nôtres ailleurs, cela nous force aussi à nous remettre en question.

La rencontre avec l’autre est donc un élément essentiel pour vous dans le voyage ?

C’est un ingrédient primordial. Bien sûr, on peut aller à la rencontre d’autres cultures via des formes de voyages organisés par des agences. Cela peut d’ailleurs être un bon premier pas vers d’autres cultures. Mais je pense que, si l’on veut vraiment goûter à la sueur, à l’essence de ces autres cultures, il faut y mettre du sien, il faut se mouiller et parfois perdre quelques plumes. C’est pour cette raison que j’ai aussi eu envie de voyager à travers les réseaux d’hospitalité. J’ai même fini par aller toquer directement aux portes pour demander de manière spontanée l’hospitalité à des personnes qui n’avaient pas forcément d’accès à Internet. Cela m’a permis d’avoir des échanges encore plus sincères.

Quelle est votre définition du voyage ?

Pour moi, voyager est synonyme d’expérience initiatique. Je n’associe pas du tout le voyage à des vacances. Cela demande d’être dans un état de vacuité, de vide à l’intérieur de soi, et c’est ce que j’essaie de plus en plus de cultiver, notamment avec Nans. Avant de partir ensemble, on passe toujours trois ou quatre jours à répondre à tous nos courriels, gérer tous les dossiers en cours et assainir les tensions qu’il pourrait y avoir ici et là, ceci afin de faire le vide à l’intérieur de nous pour pouvoir être dans une véritable écoute avec les gens que l’on va rencontrer. Je ne voyage pas pour me vider la tête, je me vide la tête avant.

Guillaume Mouton

Y a-t-il justement un message que vous cherchez à faire passer à travers votre émission Nus et culottés ?

Des intentions, on en a mille et, en même temps, on n’en a pas ! Disons que l’on fait ces voyages pour vivre l’expérience de la vie, pour être surpris, pour apprendre et pour être parfois contraints à être créatifs. Parce que les situations de voyage que l’on rencontre dans cette émission sont inédites pour nous. Cela contribue à stimuler la part vivante de l’humain qui est en nous en nous forçant à nous adapter, à être créatifs et à adapter constamment notre point de vue. On apprend à gérer nos émotions, à composer avec en essayant de toujours d’entretenir la joie et le plaisir de rencontrer l’autre.

Est-ce qu’il faut du temps pour voyager de cette manière-là ?

Le temps peut effectivement être un facteur aidant lorsque l’on fait un voyage au long cours. Mais on peut aussi vivre des expériences très fortes en bas de chez soi en peu de temps. En fait, plus que le temps, ce sont les conditions dans lesquelles on décide de voyager qui sont aussi très importantes. On a tous une zone de confort, des langues que l’on maîtrise, des lieux où l’on est déjà allé, des situations dans lesquelles on est à l’aise, mais on peut tous faire un pas de côté pour essayer de provoquer quelque chose d’inédit et d’unique. Dès lors, on se retrouve comme un enfant qui apprend à marcher et le voyage devient une aventure. En même temps, des craintes et des appréhensions peuvent apparaître. Cela demande de faire appel à des ressources que l’on n’a pas l’habitude d’aller chercher en soi. Et, pour y parvenir, il n’y a pas besoin de faire un tour du monde pendant deux ans. Pour moi, voyager, c’est apprendre à se rencontrer et cela peut prendre plein de formes différentes ; il peut même simplement s’agir de ralentir. Cet été, je suis par exemple parti marcher tout seul dans mon département de naissance ; j’avais envie de retourner aux sources et d’y voyager sans argent. Ce fut une véritable gageure pour moi de ralentir. Je n’y arrivais pas au début, parce que j’ai l’habitude d’aller vite dans ma vie. Mais je me suis forcé à m’arrêter, à faire des pauses au bout des chemins, dans les villages, pour provoquer la rencontre avec l’autre.

Pourquoi cette envie soudaine d’aller marcher dans la région de votre enfance ?

Pour aller à la rencontre de ses habitants, mais aussi à la rencontre de moi-même. En fait, je crois que je suis retombé amoureux de la région dans laquelle j’ai grandi et d’où je suis parti car je ne m’y sentais pas bien à l’adolescence, peut-être parce qu’il n’y avait pas beaucoup de choses à y faire. J’avais soif d’autre chose, d’ailleurs… Cette marche, cela a été un peu comme un retour aux sources, un retour sur moi-même, après dix ans de voyage. Le fait de revenir là où j’ai grandi, d’y trouver une certaine sérénité et du plaisir à rencontrer les gens m’a fait du bien. Avant, j’avais en phobie ces discussions sur la pluie et le beau temps, que je trouvais sans profondeur. J’avais tout un tas d’appréhensions, et pourtant, je me suis surpris à prendre du plaisir à parler à mon tour de la pluie et du beau temps avec les gens des villages dans lesquels je marchais. J’ai trouvé une sorte de paix en moi. Cela m’a fait du bien de me rendre compte que j’étais aussi capable de m’émerveiller en restant chez moi. Car c’est assez facile finalement de trouver de l’exotisme dans une rencontre à Cuba ou au Brésil, mais comment trouver ce même émerveillement chez nous, à notre porte, devant cette grand-mère que l’on a vue pendant des années arroser ses bégonias toujours à la même heure ? Je me suis émerveillé devant des cascades limpides au Guatemala, j’ai grillé de la guimauve sur la lave des volcans, je me suis émerveillé comme un gosse devant le monde… Mais, si je rentre chez moi, est-ce que je suis capable de continuer à m’émerveiller ? D’être bien, serein et joyeux ? Parce que, sinon, à un moment donné, le voyage peut devenir une drogue, dont il faut toujours augmenter la dose. Vais-je passer ma vie à aller toujours plus vite, toujours plus loin, à vivre des expériences toujours plus folles ? Je n’avais pas envie d’être prisonnier de ma liberté. C’est d’ailleurs aussi un peu la leçon des attentes en auto-stop : je suis libre, je peux aller où je veux, mais, je reste dépendant du bon vouloir des automobilistes.

Faire de l’auto-stop est donc une façon de ralentir pour vous ?

Cela m’est arrivé très souvent d’attendre pendant des heures que quelqu’un s’arrête, mais c’est pendant ces attentes-là que j’ai pu me rencontrer vraiment. Cela a été un peu comme une déconstruction lente et douloureuse, une déconstruction de l’ego. Tu te dis : « C’est super, je suis un aventurier, je traverse le monde, c’est génial ! » Mais, n’empêche, si les automobilistes décident de ne pas s’arrêter, tu restes tout seul dans ton désert à te faire fouetter par le sable ! Qu’est-ce que cela fait du bien de revenir à sa place d’humain ! De comprendre que, sans les autres, on n’est rien. Oui, on peut faire certaines choses tout seul, mais cette façon de voyager m’a permis d’avoir réellement de la gratitude pour tout ce que les autres ont pu m’apporter dans ma vie, que ce soit les gens de ma famille qui m’ont amené à mes tournois de sport, mes professeurs qui ont pris un quart d’heure de plus pour m’expliquer quelque chose, ou toutes ces autres fois où quelqu’un a pu m’aider. Je me rends compte à quel point cela m’a permis d’avancer et de m’épanouir. Et je réalise combien ressentir de la gratitude me permet aujourd’hui de ne pas me sentir en dette envers les autres. De ne pas culpabiliser et penser que je devrais être redevable. Aujourd’hui, je me dis plutôt : « J’ai envie d’aider à mon tour, mais je le fais vraiment avec plaisir, pas parce qu’il le faut. » C’est ce que j’ai découvert en faisant du stop : cette gratitude envers les autres, envers moi, envers la vie.

Cela vous a donc donné envie d’aider les autres ? De prendre à votre tour des auto-stoppeurs ?

Je ne conduis pas souvent, mais, effectivement, je pense avoir un autre rapport aux autres aujourd’hui. À la fin de ce voyage en Amérique, quand je suis rentré en France, j’étais dans le RER pour aller retrouver ma famille dans le centre de Paris, quand j’ai croisé un Iranien, transpirant et paniqué, qui avait l’air de chercher son chemin. J’ai été le voir pour essayer de l’aider. Il devait changer de train, aller à Montparnasse, pour rejoindre l’Ouest de la France. Je lui ai expliqué le trajet avec un plan des lignes du métro ; cela l’a rassuré… Et puis, au moment de me rasseoir, je me suis souvenu tout à coup que des tas de gens avaient fait des détours de plusieurs kilomètres pour m’emmener en stop quelque part. J’ai eu envie de rendre ça à mon tour et j’ai décidé de changer mes plans pour l’emmener moi-même jusqu’à son train. Je l’ai même aidé à faire du change et à appeler sa famille. Et, grâce à moi, il n’a pas raté son train. Ça a été un énorme cadeau de voir cet homme rassuré, enfin paisible, prendre son train pour retrouver les siens. Cela m’a permis de comprendre que les gens qui nous aident en voyage, même s’ils ne s’en rendent peut-être pas compte sur le moment, se font aussi un énorme cadeau à eux-mêmes. En tout cas, je pense que les sociétés humaines fonctionnement mieux quand les actions partent d’élans spontanés. Tout ça va dans le sens de se libérer de soi pour avoir toujours plus de joie et de gratitude à vivre et à vivre ensemble.

Voyager autrement, qu’est-ce que cela vous a apporté finalement ?

Le voyage m’a complètement transformé. J’ai gardé la même essence, j’ai toujours un peu la même façon de parler, de faire des choses, mais, sur certains aspects, j’ai appris à me maîtriser, à placer mon énergie dans des espaces qui soient désormais au service des autres et de la société, à mon service aussi. Avant, il y avait des sujets qui me faisaient monter dans les tours – l’environnement, la liberté, certains sujets politiques… – et me faire tomber dans des débats sans fond alors que cela ne servait à rien… Grâce au voyage, et notamment à l’auto-stop, j’ai développé mon écoute et mon empathie. Je me souviens par exemple avoir été pris sur une même journée par cinq personnes de confessions différentes. Cela m’avait fasciné de voir cette diversité, de découvrir leur habitacle – avec tout ce que l’on peut trouver dans une voiture qui reflète la personnalité de quelqu’un –, d’écouter les incompréhensions qu’ils peuvent avoir les uns envers les autres, mais aussi ce qui les rassemble et que l’on ne voit pas toujours, parce que l’on a souvent tendance à se focaliser sur ce qui nous divise plutôt que sur ce qui nous rassemble.

Tous ces moments vécus m’ont forcément aidé à développer un autre rapport aux gens, une plus grande capacité d’accueil pour pouvoir vivre ensemble. J’ai l’impression que ceci est le drame de notre société : on est capables de recueillir des infos sur des planètes situées à des millions de kilomètres, mais on n’est pas capables de résoudre des conflits de voisinage. C’est quand même fou ! On a mis beaucoup d’énergie dans la technique pour développer des solutions qui nous sécurisent et nous rassurent, nous apportent du bien-être et du confort, mais on a oublié la question humaine.

 

Propos recueillis par Véronique Bury

 


Retrouvez une partie de cet entretien dans le dossier « Voyager autrement » de Kaizen no 26, en kiosque à partir du 21 avril 2016.

Lire aussi : Elles-ils voyagent autrement

Le 20 avril 2016
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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Ferron Andrée le 08/05/2016 à 16:48

J'ai vu les émissions sur France 5 de ces 2 jeunes gens et j'avais trouvé ça osé et" culotté" mais ils se sont fait ouvrir des portes et tout naturellement on leur offrait habit,gîte et couvert, comme quoi dans la vie il faut OSER ,je souhaite encore beaucoup de voyages et d'heureuses rencontres au bonheur des autres, merci de nous faire voyager et connaitre nos semblables!!!

Sylvie Robert Stanley le 30/04/2016 à 12:54

Beau message qui donne envie. Merci.