Animaux et Photographie

Ces humains qui aiment les abeilles

La barbe d’abeilles demande un sang-froid à toute épreuve.

Deux récentes études, l’une de l’INRA et l’autre de l’université de Stirling en Angleterre, démontrent que l’utilisation de certains pesticides perturbent le sens de l’orientation des abeilles qui ne retrouvent plus leurs ruches.
Bien sûr il faut interdire les produits phytosanitaires incriminés, mais au-delà, il faut continuer à renforcer ce lien millénaire qui existe entre les abeilles et les êtres humains. C’est pour cette raison que nous ouvrons nos pages à Éric Tourneret, le photographe des abeilles, qui en connaît un rayon.

abeille

Pascal Greboval : Comment vous est venu cette idée de photographier les abeilles ?

Éric Tourneret : Les abeilles ont commencé à venir me voir en 2004. Je dis « venir me voir » parce je ne suis pas allé vers les abeilles, c’est elles qui sont venues vers moi. Ça a commencé avec des rêves. J’avais des rêves de photos, d’images en couleur d’abeilles. Elles étaient très présentes. Un jour, comme je suis quelqu’un de très pragmatique, je suis allé voir sur le terrain si j’aimais ça et s’il y avait une belle histoire à raconter.

Et que nous racontent les abeilles ?

Les abeilles forment un couple essentiel avec les fleurs sur Terre. Elles ont apporté à la grande chaîne alimentaire du vivant une abondance et une diversité inconnue jusqu’alors. Par la pollinisation croisée, la sexualité des fleurs ainsi dynamisé par le transport du pollen par les insectes et les abeilles, a pu générer une myriade de nouvelles espèces mais également, une production de fruits, de noix et de légumes bien formés en quantité. L’abondance de cette production de semences (fruits, légumes, noix) a donné aux mammifères une source régulière et importante de nourriture. L’alliance des abeilles et des fleurs a ainsi créé les conditions nécessaires à la vie de l’humain sur Terre.

Quand on regarde vos photos, on voit autre chose que le monde des abeilles.

Quand on parle abeilles, quand on parle apiculture, on parle environnement, on parle humains, on parle économie, on parle culture, on parle de la réalité d’aujourd’hui. On parle même politique parce qu’il y a une reine – ou alors un roi. Ça dépend de l’époque, les visions diffèrent.

Les abeilles sont-elles en train de disparaître ?

Ce ne sont pas seulement les abeilles ! Les insectes, les espèces animales, les espèces végétales, les peuples, les langues disparaissent, aussi. Dans l’histoire de l’humanité, on n’a jamais eu une disparition d’espèces et de diversité aussi importante.

Concernant les abeilles, elles ont 80 millions d’années et je pense que nous disparaîtrons avant elles. Actuellement, leur très grande mortalité est limitée aux pays développés ou en voie de développement, qui utilisent un système agricole intensif, construit sur l’emploi massif de l’agrochimie. L’abeille se confronte aux nouveaux besoins de l’humain : colza, tournesol, oléagineux, maïs… Cette production agricole qui sert principalement à l’élevage, est une arme du système économique, et c’est ça le vrai problème ! Nous devons revenir à des choses plus simples, qui sont plus proches de la vie que cette idéologie dominante et totalitaire. Surtout si l’on reste sur ce terrain : chaque année, la pollinisation apporte à la production agricole de l’humanité un don d’une valeur, calculée par les scientifiques de l’Inra, de 155 milliards d’euros. Un service gratuit de la nature plus qu’important quand on le compare aux résultats d’une entreprise comme Monsanto qui, toutes activités mondiales confondues, dégage un bénéfice de plus ou moins un milliard d’euros par an. Cette comparaison donne à réfléchir et donne un prix à la pollution.

Selon vous, comment pouvons nous changer les choses et que peuvent nous apporter les abeilles ?

Il faut se dire : « Oui, je peux changer quelque chose dans ce monde-là. Ce ne sont pas les marchés financiers qui décident de tout. Je peux acheter local, circuler à vélo…» Quand je cherche à faire une photo sur une activité donnée de la ruche, je dois écouter la vie. Nous devons être attentifs à ce qui se passe pour changer les choses.

Justement qu’est-ce qui se passe dans une ruche ?

La vie des ruches montre qu’il est urgent de sortir du discours global de la société « il faut se spécialiser ». On est tellement spécialisés maintenant que dans tous les pays développés les gens ne savent même plus produire leur nourriture !

L’humain s’est spécialisé avec le temps. C’est une hérésie parce lorsque l’on regarde les abeilles, elles sont spécialisées, mais en fonction des moments de leur vie. C’est vrai que pendant quelques jours, elles vont faire une tâche. Mais parce qu’elles n’ont pas développé en elles ou physiquement une nouvelle capacité. Les jeunes abeilles vont s’occuper du couvain ou de donner à manger à leurs petites sœurs, simplement parce qu’elles ne peuvent pas voler, et qu’elles ne savent pas faire grand-chose d’autre. C’est une période où elles vont recevoir du nectar ou prendre du pollen et du miel dans une alvéole voisine pour aller nourrir les larves ou les nymphes en train de naître. Par la suite, avec leur développement, elles vont avoir d’autres fonctions. Les regarder nous permet d’élargir notre vision « être humain = fonction = travail ».

C’est la raison pour laquelle vous ouvrez votre objectif aux grandes villes ?

C’est aussi parce que dans les jardins des villes comme Paris, on n’utilise plus d’insecticides et l’abeille s’en porte mieux. À Paris, cela reste toutefois anecdotique car il n’y a que 300 ruches pour une trentaine d’apiculteurs. Même s’il y a de plus en plus d’apiculteurs amateurs qui installent des ruches dans leur jardin. Mais à Berlin par exemple, il y a 750 apiculteurs, ce qui représente plus de 4 000 ruches. Et, en pleine période de floraison du tilleul, il y en a pratiquement 15 000 !

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Sur le toit du Grand Palais à Paris, Nicolas Géant ouvre une ruche. Le miel du Grand Palais sera vendu sur place.

Et que signifie pour vous ce développement de l’apiculture en ville ?

En fait cela dépasse l’apiculture, les populations étant de plus en plus citadines, le besoin est de ramener la campagne dans les villes. La campagne en ville, ça veut dire des jardins pour une production alimentaire de proximité. Il faut ramener les gens à la terre. Et si on donnait la possibilité à toutes les personnes sans emploi de faire des jardins ? Planter, ramener de la production alimentaire en ville c’est être beaucoup moins dépendant du pétrole et, en même temps, il y aura une vraie cohérence sociale. C’est une autre façon d’imaginer le futur bien sûr. Mais pourquoi pas ? Soyons fous !

Entretien extrait de Kaizen 2.


Lire aussi : Et si vous installiez une ruche chez vous ?

Lire aussi : À la rencontre des insectes avec François Lasserre

Le 29 juin 2016
© Kaizen, explorateur de solutions écologiques et sociales

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Rosetta le 29/06/2016 à 21:28

sortir de l'UE évidemment !

maurel le 29/06/2016 à 16:57

A force de rester aussi passifs, nous nous réveillerons un beau jour sans pollinisation, sans nourriture. Les lobbys de la chimie phagocytent les bureaux des décideurs de la commission européenne qui viennent de reporter de 18 mois leur décision sur les néocotinoïdes. La chimie a envahi nos sols, eau, air, nourriture. Le sol arable meurt, les insectes et les petits oiseaux aussi. La vie, la diversité se meurt en silence dans l'indifférence générale. Que faut-il pour nous réveiller ?

CAMUS le 29/06/2016 à 16:49

Bonjour,
C'est un bel article ode a la diversité sous toutes ses formes.
Beau rapprochement avec la spécialisation.

Un petit détail mais qui a de l'importance. l'agriculture pratiquée majoritairement en europe est productive (un homme pour 250 ha est productif) mais 8.5 tonnes/ha de céréales produites c'est bien moins intensif que 20tonnes/ha de légumes produits en agrobiologie par un maraicher.

Kenavo
JM

nb : les mots sont importants ils créaient la confusion.