CHANGER L’ENVIRONNEMENT PLUTÔT QUE LES INDIVIDUS ?
Manger autrement, mieux, avec moins d’impact : l’idée fait consensus. Pourtant, malgré une volonté affichée de nombreux Français de réduire leur consommation de viande, les chiffres stagnent. Pourquoi ? Parce que vouloir changer individuellement dans un environnement inchangé est une mission quasi impossible.
C’est tout l’intérêt du scénario TRAMe2035, développé par l’Iddri et I4CE, qui propose une méthode concrète pour accompagner la transition alimentaire en France. Plutôt que de se focaliser sur la responsabilité individuelle, ce rapport met l’accent sur l’environnement alimentaire, c’est-à-dire tout ce qui influence nos choix : l’offre en rayon, les prix, les messages publicitaires, la culture alimentaire.
Ce changement de regard est fondamental : pour que l’évolution des pratiques devienne naturelle, il faut rendre les options durables plus accessibles, plus attractives et mieux intégrées au quotidien.
SORTIR DE L’INJONCTION INDIVIDUELLE : UNE TRANSITION QUI PREND EN COMPTE TOUS LES FACTEURS
Pendant des années, le discours dominant sur l’alimentation durable s’est concentré sur un appel à la responsabilité individuelle : « Mangez moins de viande », « Privilégiez les circuits courts », « Faites des choix éclairés ».
Mais la réalité est plus complexe. Nos habitudes alimentaires ne sont pas des choix isolés, elles sont façonnées par tout un écosystème.
Le paradoxe actuel ?
- 70% des Français déclarent vouloir réduire leur consommation de viande, mais la consommation moyenne reste stable.
- Les alternatives végétales existent mais restent moins visibles, plus chères ou perçues comme moins « normales » dans certains contextes.
- Les campagnes de communication sur les bienfaits du végétal coexistent avec un marketing omniprésent de la viande et des plats ultra-transformés.
L’approche TRAMe2035 repose sur un constat simple : plutôt que de compter uniquement sur la motivation des consommateurs, il faut rendre les choix durables plus faciles et évidents.
Ce scénario identifie quatre grandes dynamiques sociales influençant l’évolution des habitudes alimentaires :
1️⃣ Ouverture des possibles : Pour les ménages aux contraintes financières fortes, l’enjeu est d’améliorer l’accessibilité des alternatives durables (baisse du prix du végétal, meilleure offre en restauration collective).
2️⃣ Affirmation : Pour les consommateurs déjà engagés, il faut soutenir et renforcer leurs pratiques (labels clairs, influence culturelle et sociale).
3️⃣ Mise en route : Pour ceux attachés à la viande par tradition, habitude ou plaisir, la transition passe par la familiarisation progressive et l’évolution des repères culturels.
4️⃣ Mise en cohérence : Pour les convaincus qui hésitent encore, il faut aligner leur environnement avec leurs valeurs (marketing positif sur le végétal, disponibilité des produits alignés avec leurs attentes).
COMMENT TRANSFORMER L’ENVIRONNEMENT ALIMENTAIRE ?
Le rapport identifie trois grands leviers pour accélérer la transition sans imposer un modèle unique.
1️⃣ RÉORGANISER L’OFFRE POUR QU’ELLE DEVIENNE LA NOUVELLE NORME
Dans les supermarchés : rééquilibrer les rayons, rendre les produits végétaux plus visibles et attractifs.
Dans la restauration collective et commerciale : intégrer des menus végétalisés sans que ce soit une « option à part ».
Dans l’industrie agroalimentaire : soutenir les produits locaux, naturels et issus d’élevages plus responsables.
Aujourd’hui, les produits les plus transformés et les plus polluants sont les plus accessibles. Il faut inverser cette dynamique pour que manger mieux devienne le réflexe, pas l’exception.
2️⃣ CHANGER LA PERCEPTION CULTURELLE DE L’ALIMENTATION
Influencer les normes sociales via des campagnes médiatiques et des actions auprès des influenceurs et professionnels de santé.
Mettre en avant la gastronomie végétale, en montrant qu’elle est non seulement bonne pour la planète, mais aussi savoureuse et attrayante.
Renforcer les labels et la transparence pour faciliter les choix.
Aujourd’hui, les normes alimentaires valorisent encore la viande comme un symbole de force, de tradition, de plaisir. Il ne s’agit pas de l’interdire, mais de valoriser d’autres modèles tout aussi séduisants.
3️⃣ AJUSTER LES INCITATIONS ÉCONOMIQUES
Réduire l’écart de prix entre viande et alternatives végétales (via des taxes incitatives ou des subventions ciblées).
Augmenter les minima sociaux pour faciliter l’accès à une alimentation plus durable.
Encourager les promotions sur les produits végétaux et les viandes de meilleure qualité plutôt que sur les produits ultra-transformés.
Aujourd’hui, manger de la viande bon marché est souvent plus accessible qu’une alimentation saine et équilibrée. Il est possible d’inverser cette tendance sans renchérir brutalement les prix.
UN MODÈLE VIABLE POUR 2035, MAIS PAS UNE FIN EN SOI
Le scénario TRAMe2035 ne vise pas une révolution soudaine, mais une transition progressive et crédible. Ses projections montrent qu’avec ces leviers, une baisse significative de la consommation de viande est possible, sans que cela soit perçu comme une privation ou une contrainte.
Pourquoi ce modèle est intéressant ?
- Il respecte la diversité sociale : chaque groupe évolue à son rythme, avec ses propres motivations.
- Il repose sur des ajustements progressifs : pas de mesures autoritaires, mais un environnement qui rend le changement naturel.
- Il intègre les réalités économiques : la transition alimentaire doit être juste et accessible à tous.
Mais ce scénario ne prétend pas détenir la seule solution. Il ouvre surtout un débat essentiel : comment adapter notre système alimentaire sans opposer contraintes et liberté de choix ?
La Stratégie Nationale Alimentation, Nutrition, Climat (SNANC) et le prochain Plan National Nutrition Santé (PNNS) seront des moments clés pour voir si la France est prête à transformer son environnement alimentaire de manière ambitieuse.
ET MAINTENANT ? CHANGER ENSEMBLE, SANS CULPABILISER
Ce scénario nous rappelle une chose essentielle : personne ne peut changer seul face à un système structuré. Manger autrement ne devrait pas être un effort permanent, mais une évolution rendue possible par des choix collectifs.
