Sous les néons du “tout doit disparaître”, c’est peut-être notre discernement qu’on liquide à bas prix.
Chaque année, la même déferlante : vitrines criardes, notifications incessantes, slogans martelés.
“Jusqu’à -70 % !”, “Livraison gratuite !”, “Dernière chance !”
Le Black Friday est devenu le rite mondial de la surconsommation, étendu désormais sur tout un mois : le Black November.
Ce n’est plus une journée, c’est une saison — celle du désir programmé, de la fièvre acheteuse, du clic compulsif.
Et si nous décidions, cette fois, d’éteindre la lumière plutôt que d’allumer le panier ?
Le grand piège de l’illusion du “bon plan”
Le Black Friday n’a jamais été un “cadeau” : c’est une stratégie économique redoutablement calibrée.
Les rabais spectaculaires masquent souvent des prix artificiellement gonflés les semaines précédentes.
Les études de la DGCCRF le confirment : près d’un tiers des réductions affichées sont fausses ou trompeuses.
Mais le piège le plus pernicieux n’est pas financier : il est psychologique.
Le Black Friday joue sur nos biais cognitifs : la peur de manquer, l’illusion de rareté, la gratification instantanée.
Nous ne consommons plus par besoin, mais par réflexe, sous l’effet du marketing de la dopamine.
“Le Black Friday n’est pas une fête de l’achat, c’est une fête de l’oubli.”
— Hélène Bonhomme, essayiste et militante écoféministe
Le coût caché du “moins cher”
Derrière chaque promo “imbattable”, il y a des travailleurs sous-payés, des matières premières surexploitées, et un coût écologique désastreux.
Chaque colis livré en 24 h, chaque retour gratuit, chaque produit jeté participe à un modèle industriel dévastateur.
- L’e-commerce mondial génère plus de 4 % des émissions de CO₂ planétaires.
- La production textile a doublé en 20 ans alors que la durée d’usage d’un vêtement a chuté de moitié.
- Les appareils électroniques sont fabriqués à base de métaux rares extraits dans des conditions inhumaines.
Le Black Friday ne crée pas de richesses : il accélère l’épuisement du monde.
Et chaque achat impulsif est un vote.
Un vote pour un modèle qui brûle les ressources et vide le sens.

Résister : un acte politique et poétique
Face à cette orgie consumériste, résister devient un acte de dignité.
Refuser d’acheter ce dont on n’a pas besoin n’est pas de la privation, mais une affirmation : celle de la liberté intérieure.
Les formes de résistance se multiplient :
- #GreenFriday, mouvement collectif lancé en France, invite à boycotter les promotions et à soutenir des projets à impact positif.
- Makesense, Zero Waste France et des centaines d’associations proposent des alternatives concrètes : réparer, recycler, offrir du temps, du savoir, du soin.
- Certains commerces ferment volontairement leurs portes ce jour-là, pour signifier leur refus de participer à la mascarade.
“Le geste le plus subversif aujourd’hui, c’est de ne rien acheter.”
— Annie Leonard, autrice de The Story of Stuff
Les alternatives : de la possession à la relation
Offrir autrement
Offrir n’a pas à rimer avec “acheter”.
Un repas préparé, un livre prêté, une promenade partagée, une réparation offerte…
Ces gestes simples recréent du lien au lieu d’alimenter le vide.
Ils sont inestimables, précisément parce qu’ils échappent au marché.
Repenser la valeur
Et si la véritable richesse n’était plus dans l’accumulation, mais dans la résonance ?
Le Black Friday nous pousse à acheter pour compenser une fatigue, un ennui, un manque de sens.
La sobriété heureuse, elle, nous invite à retrouver du plaisir dans l’essentiel : un objet utile, un vêtement durable, un repas local, un outil réparé.
Chaque achat conscient devient alors un acte politique de soin — soin du monde, soin des autres, soin de soi.

Le Black Friday de demain n’aura pas lieu
Le futur du commerce responsable ne sera pas noir, il sera vivant.
Des marques, des artisans, des coopératives inventent déjà d’autres récits :
vente à prix juste toute l’année, production à la demande, transparence totale, économie du partage.
Ces modèles émergents redonnent sens à la consommation en la reconnectant au temps, au territoire et à la main humaine.
Le défi n’est pas d’acheter “vert”, mais de désintoxiquer notre désir.
De rompre le cycle du besoin artificiel pour renouer avec la suffisance.
“Le contraire de consommer, ce n’est pas se priver : c’est participer.”
— Patrick Viveret, philosophe
Résister à l’appel du vide
Le Black Friday ne durera pas éternellement.
Il est le dernier sursaut d’un modèle à bout de souffle, celui d’une économie qui confond croissance et existence.
Résister à cette frénésie, ce n’est pas refuser la modernité, c’est choisir la maturité.
Le courage du XXIᵉ siècle n’est pas dans la possession, mais dans la mesure.
Et chaque geste, chaque refus, chaque acte d’achat conscient est une fissure dans le mur de l’absurde.
Alors, ce novembre, au lieu d’un clic, faisons un pas :
vers un monde qui ne solde pas le vivant.


