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jeudi 5 décembre 2024
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Une déchetterie transformée en supermarché gratuit

Meubles anciens, jouets pour enfants, vêtements trop petits… Un Français jette en moyenne 162 kilogrammes de déchets chaque année à la déchetterie selon une étude de l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) de 2017 (hors déblais et gravats). Des « déchets » qui portent souvent mal leur nom. Près de Bordeaux, à Vayres, un supermarché gratuit, le Smicval Market, né en 2017 sur le site d’une vieille déchetterie,  leur donne une seconde vie. Des initiatives fleurissent également en ligne. Kaizen a fait le point pour vous.

80 % des objets qui sont déposés ici repartent dans un nouveau foyer. Au Smicval Market, ancienne déchetterie métamorphosée en magasin gratuit, les déchets des uns deviennent une ressource pour d’autres. Accessible sans condition aux 220 000 habitants du territoire du Smicval, du Libournais et de la Haute-Gironde, ce site de 5 000 mètres carrés situé à Vayres (Gironde), propose un circuit aux visiteurs qui déposent leurs produits ou viennent en chercher.

Petit passage obligé par la « Maison des objets ». Des « rayons » se distinguent par des codes couleurs, pour indiquer où se trouvent les livres, les jouets ou encore la vaisselle. « On a imaginé un supermarché inversé, en reprenant les normes de la grande distribution », explique Michel Vacher, premier vice-président du Smicval, syndicat mixte de gestion des déchets, à l’origine de ce projet.

Ensuite, une deuxième partie est destinée aux matériaux et gravats. Avant d’arriver en bout de course, en dernier recours, au caisson où l’on peut jeter ce que l’on considère comme irrécupérable. Mais là encore, des techniciens scrutent les objets qu’ils pourraient revaloriser. Une seconde vie les attend peut-être.

Un circuit ludique et pédagogique a été installé pour les visiteurs.

Moins 60% de déchets enfouis

Chaque année, 631 kilogrammes de produits sont jetés par habitant sur la zone couverte par le Smicval. « On collecte par mois le poids de la Tour Eiffel », aime à rappeler Michel Vacher. Leur but aujourd’hui, atteindre les 100 kg de déchets par habitant.

L’idée de ce magasin gratuit a germé en 2015 chez ce syndicat, avec la volonté de changer le comportement des usagers et de bannir le mot « déchet ». Ce dispositif s’inscrit également dans la lignée de la Loi de transition énergétique pour la croissance verte (TECV) de 2015, ayant pour objectif notamment de réduire de 50% les déchets enfouis d’ici fin 2025. Devant refaire la vieille déchetterie de Vayres, le Smicval a alors repensé la collecte en installant une boutique gratuite, inaugurée en 2017. Depuis sa création, la quantité de déchets enfouis a diminué de 60 %.

Présente à plus petite échelle sur les pôles de recyclage, la revalorisation des objets est également au cœur du projet de ce supermarché inversé. Elle se fait en collaboration avec des associations et des organismes qui récupèrent des produits, et les recyclent (matériel de vélo, livres, etc.). Les objets qui ne trouvent pas preneurs dans les rayons sont ainsi récupérés par des salariés du magasin, les « valoristes », et mis de côté pour leurs partenaires. « Cela permet d’aider de petites entreprises qui veulent développer un concept. On travaille par exemple avec une boîte qui recycle des pots de peinture », souligne Michel Vacher, en charge de la « refonte de la collecte de demain ».

« C’était le fauteuil de ma grand-mère »

Autre point positif selon ce dernier, la création de lien social. Lorsque les usagers déposent un objet, ils peuvent écrire sur un petit papier à côté l’histoire qui lui est rattachée. « C’était le fauteuil de ma grand-mère », « J’ai lu mes premiers mots avec ce livre »… Cela paraît anecdotique, mais les visiteurs y sont sensibles. Pour Elisabetta Bucolo, sociologue spécialisée dans l’économie sociale et solidaire, la gratuité accorde une valeur affective à un objet : le prix n’est plus la seule valeur à prendre en compte. « Quand on raconte l’histoire d’un objet, on peut créer du lien avec des inconnus. L’objet devient presque un prétexte », analyse cette maîtresse de conférences au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Cette chercheuse a notamment travaillé sur les gratiferias, des marchés gratuits éphémères nés en Argentine, qu’elle présente comme des « espaces de convivialité ».

Au Smicval market, deux visiteuses échangent entre elles.

Cette « convivialité » est aussi spécifique des magasins gratuits apparus aux Etats-Unis dans les années 1990. Créés à l’origine par des mouvements contestataires contre la surconsommation et le capitalisme, ces boutiques se développent aujourd’hui dans des formes plus conviviales et moins marquées par le militantisme. Et elles font flores. Quand Elisabetta Bucolo a commencé à travailler dessus il y a quelques années, il y en avait trois ou quatre en France ; désormais on en compte une trentaine.

Ce succès s’explique en partie par des logiques de réemploi. Selon des études statistiques réalisées en 2014 par l’ADEME, 94% des Français ont déjà consommé des produits d’occasion pour faire des économies (67%), rencontrer des gens et nouer des liens (47%) ou encore protéger l’environnement (30%). En effet, si l’enjeu social occupe la première place, l’enjeu écologique joue un rôle important dans le développement du réemploi. Décroissance et sobriété sont les mots d’ordre.

Supermarché inversé

Fort de son succès à Vayres, le Smicval entend développer ce concept de supermarché inversé dans d’autres déchetteries. « On reçoit de nombreuses collectivités intéressées par cette initiative », assure Michel Vacher. Mais attention, il ne s’agit pas selon ce dernier de reproduire le projet à l’identique ailleurs. Un Smicval market doit s’adapter à chaque territoire pour le syndicat. Ce dernier et la communauté de communes de l’Estuaire (Gironde) collaborent par exemple pour installer prochainement une boutique gratuite en appuyant la politique publique qui vise à expérimenter un « Territoire zéro chômeur ». Ce « Smicval market solidaire », dont les travaux devraient démarrer en 2022, accompagnera ainsi des habitants sur le chemin de l’emploi grâce à une recyclerie et une conserverie notamment.

Autre projet en cours : celui de Libourne. « Un gros projet » selon Michel Vacher. Il prendra la forme d’un tiers lieu, avec un atelier de réparation, des jardins partagés, suivant des problématiques plus urbaines et répondant aux demandes des riverains. « Il n’y aura pas d’espaces pour les grabats et les végétaux. Ce sera plus esthétique », précise le vice-président du syndicat.

Donner sur les réseaux sociaux

Si des magasins gratuits poussent un peu partout en France, les initiatives en ligne se multiplient. Plus d’excuse pour donner plutôt que jeter.

Yoann Moizan se considère comme un militant écologiste. C’est pourquoi il créé en février 2020 un groupe Facebook de dons en Bretagne. Le but ? Créer un intermédiaire entre ceux qui jettent et ceux qui ont besoin. « Le ramassage sur les plages, ça ne suffit pas », souffle l’habitant du nord de la région. Enfant, il a très vite pris conscience du gaspillage des particuliers, car son oncle travaillait dans une déchetterie. Il se souvient : « Quand il venait, c’était Noël. »

« Si une personne fait 80 kilomètres pour un jouet, il n’y a pas d’intérêt »

Aujourd’hui, son groupe compte près de 5 000 membres. Yoann Moizan modère chaque annonce et a instauré quelques règles pour assurer le bon déroulement des échanges (pas de demandes d’objets, photos obligatoires, etc.). Parfois, certains usagers se plaignent de voir les objets qu’ils donnent revendus par la suite en ligne. Pour le fondateur, ce n’est pas de son ressort : « Mon objectif est rempli du moment que l’objet ne part pas à la déchetterie. »

Mais le Breton reste ferme sur une condition pour intégrer ce groupe Facebook : habiter dans une des communes qu’il a listées. « Si une personne fait 80 kilomètres pour un jouet, il n’y a pas d’intérêt », tient-il à préciser en rappelant les raisons écologiques qui l’animent. Théoriquement les membres les plus éloignés n’ont que 40 kilomètres à parcourir pour se retrouver.

Geev : un don toutes les trois secondes

Limoges, Saint-Nazaire, Dijon… On peut retrouver ces groupes Facebook dans diverses régions. Depuis 2017, l’application Geev permet aussi de donner ou récupérer des objets, à proximité de chez soi dans de nombreuses villes de l’hexagone.

Disponible sur un smartphone, l’application permet de choisir un rayon géographique et d’accéder aux annonces publiées à proximité de chez soi.

Avec 2,8 millions d’utilisateurs à son compteur, et neuf millions de dons depuis son lancement, Geev enregistre un don toutes les trois secondes en moyenne. La nourriture est également disponible depuis peu, afin de limiter le gaspillage alimentaire. Selon l’un des fondateurs, Florian Blanc, c’est un véritable « coup de pouce financier » en cette période difficile, notamment pour les étudiants.

Les deux créateurs Hakim Baka et Florian Blanc ont créé il y a quelques années un groupe Facebook de dons sur Paris, voyant de nombreux meubles, parfois en très bon état, délaissés dans les rues de la capitale, s’abîmant bien souvent sous la pluie.

Contourner les limites de Facebook

Mais l’usage du réseau social de Mark Zuckerberg a très vite montré ses limites selon ces deux diplômés d’écoles de commerce. Tout d’abord le manque de confidentialité pour les utilisateurs, parfois sur-sollicités pour des dons conséquents. « Suite à un don d’appareil photo, un membre avait reçu plus de 1 000 messages personnels », se remémore Florian Blanc. C’est pourquoi ils ont mis en place avec l’application une liste d’attente : le donneur ne reçoit qu’un certain nombre de messages, classés par ordre chronologique et provenant des personnes situées les plus à proximité. Ce dernier choisit ensuite le prochain propriétaire de son objet.

Pour instaurer une certaine équité dans ces échanges, Geev propose des crédits de contact, des bananes, nécessaires pour entrer en contact avec un donneur. A l’inscription, nous en obtenons trois. Pour en récupérer, il suffit de donner, de parrainer d’autres utilisateurs, ou bien de s’abonner à deux euros par mois. Mais au bout de 48 heures, un objet qui n’a pas trouvé preneur, ne nécessite plus de banane. « C’est le moyen de s’assurer que n’importe quel objet ait une seconde vie », explique Florian Blanc.

Légumes, meubles, vélos… le choix est vaste.

Fin de vie des objets 

Depuis peu, l’application collabore avec des acteurs de la grande distribution, tels qu’Auchan ou Cdiscount. Car « toutes les plateformes qui vendent un objet neuf ont une responsabilité sur la fin de vie des objets » assure Florian Blanc. Si elles vendent un canapé par exemple, elles demandent désormais à l’acheteur ce qu’il va faire de l’ancien, et leur présente Geev.

Le partenariat est encore plus poussé avec le site de mobilier et de décoration Made.com, officialisé début mai 2021. La marque de design récompense le client sous la forme d’un soutien à une association s’il donne sur Geev son objet inutilisé : 10% de la commande est reversé à l’organisme de son choix.

Le triptyque « acheter-consommer-jeter » est de moins en moins accepté dans une société qui promeut l’économie circulaire pour répondre aux enjeux sociaux et écologiques actuels.  » Mais « donnez, prenez, récupérez », le slogan du Smicval market, semble avoir de beaux jours devant lui.

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