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dimanche 3 novembre 2024
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L’écologie : nouveau credo de l’Église catholique ?

Dans son encyclique Laudato si’, de mai 2015, sur la « sauvegarde de la maison commune », le pape François invite l’humanité à emprunter une voie à la fois sociale, environnementale, spirituelle et morale : celle de « l’écologie intégrale ». Si cet appel motive certaines actions, l’Église peut-elle pour autant devenir un acteur « comme les autres » de la transition écologique ? Enquête. 

« Il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale. Les possibilités de solution requièrent une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature. » Dans sa seconde encyclique, Laudato si’ [1], publiée en mai 2015, le pape François appelle l’ensemble des habitants de la « maison commune » Terre à « l’écologie intégrale ».

En envisageant les fractures sociale et environnementale comme une seule et même crise et en rappelant la valeur intrinsèque de la nature, il marque un tournant dans la doctrine sociale de l’Église tout en poursuivant une réflexion engagée par ses prédécesseurs. Son engagement prend corps en 2017 avec la mise en place d’un Dicastère (ministère) pour la promotion du développement humain intégral. En mai et juin 2020, au cœur de la pandémie, ce Dicastère célèbre le cinquième anniversaire de l’encyclique avec une « année spéciale Laudato si’ 2020-2021 ». Via un plan d’actions sur sept ans et la mise en ligne du document interdicastériel « Sur le chemin du soin de la maison commune » (en cours de traduction), il encourage les institutions catholiques à mettre en pratique la transition écologique. Son nouveau « mantra » ? « Tout est lié [2]» Mais comment, dans une Église aux courants multiples qui, des siècles durant, a participé à une vision anthropocentrique du monde, le combat écologique trouve-t-il son salut ? 

©Le Cil Vert

De la domination à l’harmonie

« Dieu les bénit, et Dieu leur dit : “Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez (…)” » La messe est dite ! Dans les versets 26-28 de la Genèse, l’homme créé « à l’image de Dieu » semble avoir les pleins pouvoirs sur la nature. Pour Emmanuel Gougaud, directeur du Service national pour l’unité des chrétiens à la Conférence des évêques de France (CEF), c’est sur ce type d’interprétation que l’Église essaye de revenir : « Depuis plusieurs années, on cherche à redécouvrir la vraie tradition chrétienne avec la nature, au sens d’harmonie et non de domination. »

Le cinquième soir de la Genèse (versets 30-31), Dieu se réjouit de la beauté et de la valeur de ce qu’il vient de créer : « Et à tout animal de la terre et à tout oiseau des cieux et à tout ce qui se meut sur la terre ayant en soi une âme vivante, j’ai donné toute herbe pour nourriture. Et cela fut. Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voici c’était très bon. » Puis l’homme et la femme sont modelés, à partir de terre et de poussière, parts mêmes de la Création, nullement supérieurs à elle. 

LA SCIENCE ET L’ÉGLISE ONT JOUÉ UN RÔLE IMPORTANT DANS LA CONSTRUCTION DE LA PENSÉE MODERNE, QUI NOUS A AMENÉS À VOIR LA NATURE COMME UN SIMPLE STOCK DE RESSOURCES À EXPLOITER.

Plus que les Écritures, c’est la culture occidentale qui aurait favorisé cette vision dominatrice [3] : « Dans la seconde moitié du Moyen-Âge, en Occident, on s’est focalisés sur les versets 26-28 de la Genèse, explique Dominique Bourg [4], puis à partir de la fin du XVIe siècle, la science et l’Église ont joué un rôle important dans la construction de la pensée moderne, qui nous a amenés à voir la nature comme un simple stock de ressources à exploiter. » Un ancrage de l’Église qui, selon le philosophe, rend aussi nécessaire aujourd’hui son engagement écologique : « Sa légitimité à s’emparer de ce sujet et à proposer une autre lecture des textes bibliques est historique puisqu’elle a contribué à l’avènement de ce monde. »

Au cours des vingt dernières années, la pensée environnementale de l’Église s’est construite au fil de l’actualité et d’échanges entre les sphères scientifique et ecclésiastique, mais aussi au travers de réseaux œcuméniques comme l’European Christian Environmental Network (ECEN) [5]. Aujourd’hui, le réseau mondial Laudato si’ Movement ou le label français Église verte emboîtent le pas du pape François pour une « conversion écologique » en « action ». 

Une église dans le vent

Avec les marches pour le climat et l’émergence de mouvements tels qu’Alternatiba ou Extinction RebellionLaudate si’ a une tout autre résonance : « L’écologie est elle-même une critique radicale de la modernité néolibérale, et c’est pour cela que l’Église peut aujourd’hui renouer avec elle », avance Dominique Bourg. Les fondements de cette modernité, à l’origine d’une « culture du déchet » humain et environnemental, selon le pape, sont critiqués dans l’encyclique. En y désignant la jeunesse comme l’un des leviers du changement, le pape François s’inscrit dans un vaste mouvement sociétal. « Cette génération est formée au développement durable », rappelle Hélène Noisette, relais pour Église verte des démarches « Pollen », adressées aux collégiens et lycéens, et d’Église verte jeunes, pour les étudiants. Le but de ces démarches ? Faire de la foi un espace de réflexion et de sensibilisation écologique, et des jeunes le « poil à gratter » des paroisses. 

Alors qu’en 2013, seules quelques églises pionnières, comme celle de Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais), posaient des panneaux solaires sur leur toiture, le label œcuménique Église verte a permis une sensibilisation plus globale. Créé en 2017 pour engager une transition à l’échelle paroissiale, il propose un écodiagnostic basé sur cinq piliers, allant des célébrations à l’enseignement de la foi, au bâtiment, au terrain, en passant par les modes de vie et l’engage- ment local et global: « Ce label est le reflet de l’Église de demain, celle qui se préoccupe des enjeux de la société actuelle, chrétiens ou non », confie Anne- Sophie Serrurier, membre du groupe Vivre Laudato Si de la paroisse Saint-Gabriel, à Paris. Adopté par près de cinq cents structures, Église verte cherche aujourd’hui à développer sa démarche auprès de six autres communautés, dont les plus jeunes.

©Le Cil Vert

Depuis 2015, le Laudato Si’ Movement incite également les paroisses à réduire leur empreinte carbone. Il encourage aussi le transfert d’actifs financiers catholiques des combustibles fossiles vers des énergies renouvelables. En mai 2020, dans le cadre d’une campagne organisée par l’association britannique Operation Noah, une quarantaine d’institutions interreligieuses issues de quatorze pays différents ont annoncé leur intention de se désengager de ces investissements fossiles : une action relayée simultanément par le Laudato Si’ Movement et le Conseil œcuménique des églises. 

Si l’encyclique encourage le développement de tels mouvements, elle ancre aussi l’action d’organisations plus anciennes. Engagée dans la lutte contre la pauvreté depuis 1951, Caritas Internationalis a ainsi répondu à Laudato si’ en renforçant ses interventions auprès des populations affectées par le réchauffement climatique

« Ce qui est vraiment nouveau avec ce pape, observe le religieux et journaliste Dominique Lang, c’est le point de vue des pays du Sud qu’il apporte à l’Église catholique. » Premier Sud-Américain à occuper le Saint-Siège, Jorge Mario Bergoglio a en effet grandi dans un quartier populaire de Buenos Aires (Argentine). Sa popularité tient beaucoup à la sobriété de son mode de vie et son attention aux plus démunis. 

En France, si des initiatives comme les carêmes végétariens et l’accompagnement lors du « Temps de la Création »  proposé par l’association Chrétiens unis pour la terre ou les « parcours écologie » des jeunes adultes jésuites de la Maison Magis favorisent encore la sensibilisation, il reste néanmoins un gap avec « l’écologie intégrale ». 

« Il y a encore une différence entre le “catholicisme social” bourgeois et Laudato si’, entre les fondements intellectuels, spirituels, théologiques de l’Église et sa réalité sociologique », avance Dominique Bourg. L’émergence d’universités d’été, de festivals et d’initiatives locales ne permet pas de parler de « vague verte catholique », ajoute Christine Kristof-Lardet, cofondatrice de Chrétiens unis pour la terre : « Pour le moment, on assiste à des émergences ponctuelles, qui ont vocation à faire réseau. » À ce nécessaire change- ment d’échelle s’ajoute le défi d’un dialogue intergénérationnel : « Il y a un enjeu à ce qu’il n’y ait pas de conflit de générations, souligne Laura Morosini, cofondatrice d’Église verte et de Chrétiens unis pour la terre ; cela peut être dur pour les militants catholiques de longue date de voir arriver des jeunes à qui toutes les portes sont ouvertes, alors que personne ne les a écoutés pendant des décennies. » Pour l’Église en transition, le challenge est donc d’unifier son action tout en faisant face à une certaine inertie et de possibles récupérations idéologiques. 

Où est l’écologie intégrale ?

« Il est difficile de se prononcer pour l’ensemble de l’Église, tant elle est tentaculaire et complexe, précise la philosophe Juliette Grange, mais malgré les accents de sincérité du pape François et ceux qui semblent parcourir Laudato si’, il existe une veine d’exploitation politique – notamment par le Rassemblement national, Sens commun et La Manif pour tous – de la notion d’écologie intégrale. » D’ailleurs, pour dénoncer cette récupération intégriste, des intellectuels proches des mi- lieux chrétiens progressistes ont publié en juillet 2018 une tribune intitulée « L’écologie intégrale n’est pas ce que vous croyez » sur le site du Monde : « L’écologie intégrale est ailleurs, elle est chez les nombreux (même s’ils sont discrets) chrétiens engagés à Notre-Dame-des-Landes, dans les villages d’Alternatiba ou pour d’autres causes environnementales, dans les mobilisations sur la loi sur l’immigration dénoncée par bien des ONG chrétiennes. »

À ce glissement idéologique s’ajoute l’inertie de certains croyants qui, selon Christine Kristof-Lardet, considèrent encore l’écologie comme une « zone périphérique de la foi » : « Certaines paroisses ont une vision très réductrice : celle d’une écologie politique, matérialiste ou technologiste, qui n’est pas celle dont parle le pape. » Laura Morosini ajoute : « Il y a encore des prêtres et des paroissiens qui ne sont pas convaincus par le changement climatique, ou qui considèrent que l’écologie n’a pas de sens théologique. » Cependant, en invitant chaque évêque à venir à la Conférence des évêques de France accompagné de deux personnes baptisées pour réfléchir à la transition écologique de l’Église, Éric de Moulins-Beaufort, nouveau président de la CEF, a engagé fin 2019 un dialogue inédit. L’année Laudato si’ ancrera-t-elle une démarche d’ouverture, plus spirituelle que dogmatique, permettant d’unifier l’action de l’Église catholique autour de la cause écologique ? Affaire à suivre…

  1. « Loué sois-tu » en italien médiéval. Titre inspiré du Cantique des créatures, ou Cantique de frère Soleil, de Saint François d’Assise.
  2. Titre du nouveau webzine sur l’écologie intégrale de la CEF. 
  3. C’est du moins la théorie – controversée – avancée dès 1967 par l’historien médiéviste américain Lynn White dans « Les racines historiques de notre crise écologique » (article publié dans Science). 
  4. Coauteur du Dictionnaire de la pensée écologique, PUF, 2015. 
  5. Lire Bertrand Sajaloli et Étienne Grésillon, « L’Église catholique, l’écologie et la protection de l’environnement : chronique d’une conversion théologique et politique », Géoconfluences, 2016 (disponible en ligne). 
  6. Autrice de pour une philosophie de l’écologie (Agora Pocket, 2012) et Les Néoconservateurs (Agora Pocket, 2017). 

POUR ALLER PLUS LOIN

Pour lire la seconde encyclique du pape François : http://www.vatican.va/content/francesco/fr/encyclicals/documents/papa-francesco_20150524_enciclica-laudato-si.html
• eglisesetecologies.com
• toutestlie.catholique.fr
 https://laudatosimovement.org/
• www.annuairechretiendelecologie.org
• www.egliseverte.org
• chretiensunispourlaterre.wordpress.com


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