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dimanche 15 juin 2025
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Et si nous avions droit au sauvage ?

Le sauvage fait peur. Il dérange. Il déborde. Alors on le raye, on le clôt, on le réglemente. Et pourtant, face à la crise écologique, il devient urgent de repenser notre rapport à la nature libre. Et si le droit au sauvage — au sens fort — devenait un droit humain fondamental ?

Un roncier au bord d’un chemin. Une friche qui résiste à la bétonisation. Une chouette dans un clocher, un renard dans une zone périurbaine. Le sauvage est là. Pas dans les grands parcs nationaux ou les réserves à touristes, mais dans les interstices, les marges, les replis. Il ne demande pas grand-chose : un peu d’espace, un peu de répit.

Et pourtant, tout est fait pour l’exclure. Les zones sont tondues, les haies rasées, les sentiers goudronnés, les forêts balisées, les animaux “gérés”. Même dans la campagne, le sauvage se fait rare — non pas parce qu’il a disparu, mais parce qu’on ne tolère plus sa présence indomptée.

C’est que le sauvage échappe : il pousse, il revient, il s’enfuit, il ne sert à rien. Il dérange nos logiques de contrôle, de rentabilité, de propriété. Il n’obéit pas. Alors on le chasse, ou on le déguise. Le sauvage devient “ressource naturelle”, “patrimoine”, “biodiversité à gérer”. Même le vivant est réduit à une donnée.

Mais certains commencent à parler de droit au sauvage. Comme on parle du droit à respirer, à exister, à marcher librement. Ce droit ne concerne pas seulement la nature — il nous concerne, nous. Car ce n’est pas la nature qui a besoin du sauvage, c’est l’humain.

Le philosophe Baptiste Morizot le rappelle : “le sauvage, ce n’est pas l’opposé de l’humain. C’est ce qui résiste à l’appropriation.” Il ne s’agit pas de “revenir” à un état préhistorique. Mais de reconnaître notre besoin profond de contact avec une nature non domestiquée.

Cela commence par un changement de regard. Accepter de ne pas tout comprendre, tout maîtriser. Ne pas éradiquer une plante parce qu’elle “envahit”. Ne pas éliminer un animal parce qu’il “fait peur”. Laisser des zones de non-intervention, des haies folles, des coins laissés à la vie. Des endroits où rien n’est “prévu” — et c’est tant mieux.

Mais cela va plus loin : il s’agit de revendiquer un accès à des espaces naturels non aseptisés, non balisés, non scénarisés. Un droit à explorer, à se perdre, à sentir que nous ne sommes pas les seuls maîtres du territoire. Ce droit n’est pas opposé à la sécurité ou à la gestion : il leur redonne du sens. Il pose la question : pour qui et pour quoi aménageons-nous l’espace ?

Des initiatives émergent : “zones de nature libre” en ville, parcs municipaux réensauvagés, sentiers non entretenus, forêts laissées en évolution naturelle. Mais elles restent marginales. Ce qu’il faut, c’est un changement culturel, un droit inscrit dans les politiques d’aménagement, dans l’éducation, dans l’imaginaire collectif.

Car plus nous vivons dans des milieux normés, lisses, artificiels, plus notre psychisme se dégrade. La vie a besoin de rugosité, d’inattendu, d’altérité. Et la nature aussi. Le sauvage est une chance : il nous décentre, il nous rééduque à l’humilité, à l’écoute, à la cohabitation.

Alors oui, nous devrions avoir droit au sauvage. Non pas comme un divertissement, mais comme une condition de santé, d’équilibre, de liberté. Le droit de ne pas tout vouloir dominer. Le droit de laisser la place.

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